Reputation Famille: Lefroys Age du personnage: 20 ans Relations :
Sujet: Homeless - Alice Lefroy Dim 30 Oct - 20:28
- Avez-vous vu l'état de ses cheveux ? Et sa peau ? C'est immonde ! - Comment peut-elle vivre ainsi ? - Il aurait mieux valu qu'ils n'arrivent pas à la sortir des flammes, celle-là, si vous voulez mon avis.
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Elle était dans sa chambre. Tout le monde était sorti pour assister à un ballet, donné au Theatre Royal. Comme d'habitude depuis des mois, Lady Catherine Lefroy couvrirait l'absence de sa fille à cette réception mondaine en prétextant une maladie qui l'obligeait à garder le lit. Il n'y avait pas que des mensonges là-dedans. Simplement, Alice n'était pas atteinte d'une maladie dans le sens traditionnel qu'on donne au terme. Mais de jour en jour, son mental et son physique se dégradaient, et rien ne semblait à même de panser les terribles maux qui la rongeaient. Elle dépérissait à vue d'oeil. Elle ne parlait plus. Même à son frère. Elle était parfaitement renfermée sur elle-même, parfaitement inaccessible. Plus rien ne l'atteignait. Elle ne supportait plus la lumière. Ne supportait plus le bruit. Ses journées, pâles et silencieuses, passaient lentement et la tuaient un peu plus chaque jour. Elle restait dans sa chambre en permanence. Elle ne touchait à sa nourriture qu'extrêmement rarement, lorsqu'on la forçait. Les médecins avaient progressivement remplacé les domestiques ; et par les temps qui courent, elle serait, sans cela, morte depuis longtemps, faute de personnel pour s'occuper d'elle. Mais elle n'avait pas conscience de la crise que traversait le monde en ce moment. Elle n'entendait plus que le silence dans lequel elle avait enfermé son esprit. Un silence terrible, douloureux et effrayant. La nuit, elle se levait et restait debout devant sa large fenêtre. C'était seulement une fois le soleil couché et le pays plongé dans la pénombre qu'elle ouvrait finalement ses rideaux épais. Elle se mettait alors à fixer les ombres difformes qui s'étendaient au dehors. Les rayons de la Lune frappaient son visage d'une blancheur cadavérique, et faisaient ressortir les cernes -devenues de véritables hématomes- qui entouraient ses yeux morts. La lueur lunaire filtrait à travers le tissu de sa fine robe de chambre, révélant un corps maigre, squelettique et faible. Ses cheveux n'avaient plus une longueur égale : elle s'était coupé certaines mèches dans une crise de colère, et en avait arraché d'autres de ses propres mains. Ses doigts, trop fins, dont la peau diaphane laissait apparaître ses veines bleues, étaient souvent couverts de sang séché. Elle grattait souvent d'anciennes plaies jusqu'à les rouvrir. Alice était dans un état de décomposition absolue.
Mais, ce soir-là, ce ne furent pas les ombres noires qu'Alice vit en ouvrant ses rideaux. Ce furent des flammes. Gigantesques et étincelantes, elles la forcèrent à plisser les yeux, car leur lueur était trop vive. Les appartement voisins brûlaient. Et le feu se propageait, et atteignait peu à peu les appartements de la famille Lefroy. Pourtant, devant l'horreur de cette scène, aucune panique ne s'empara d'Alice. Elle resta interdite un moment devant la scène, puis, peu à peu, sa main encore attachée au rideau se contenta de lâcher prise. Détendu, son corps resta immobile devant le spectacle des flammes qui engloutissaient peu à peu l'endroit où elle et sa famille habitaient. Tout le monde était sorti. Il n'y avait plus de domestiques. Elle était seule face aux flammes. C'était l'issue parfaite. Personne ne penserait à elle. Ces derniers mois, elle s'était faite tellement minime, tellement absente et insignifiante qu'on l'oublierait bien vite face à la panique qui saisirait sans doute la foule en constatant l'incendie. Personne ne viendrait la chercher. Elle pourrait partir, enfin. Tout s'achèverait comme ça. Engloutie par des flammes.
Soudain, des bras se resserrèrent autour de son corps fébrile. Ses yeux s'écarquillèrent, choqués, et elle poussa un hurlement déchiré et affreux, propre aux sourds-muets. Elle voulait se débattre, car on l'éloignait des flammes qui mordaient peu à peu sa chambre. On l'éloignait de sa mort. Mais elle n'avait pas la moindre force. Il fut facile pour le médecin de la soulever et de l'emmener vite loin du brasier. Alice fixait le feu avec une démence effrayante. Elle continuait de remuer dans tous les sens pour faire lâcher prise à l'homme qui la tenait, et son corps abîmé craquait de toute part. Elle finit par griffer violemment le médecin au visage, dans un nouveau hurlement, alors qu'il l'enfermait dans une calèche à destination de la Pump Room. On lui avait volé son enfance. Son adolescence. Son innocence. Son Amour. Sa raison... Voilà qu'on lui volait même sa mort.
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N'entendant même pas les critiques que des vipères d'Aristocrates formulaient à son sujet quelques mètres plus loin, Alice se recroquevilla sur elle-même. Elle était allongée sur une petite banquette dans un coin sombre de la grande salle, que les autorités avaient tenté d'aménager en catastrophe pour accueillir tous les réfugiés suite à l'incendie. Elle ferma les yeux.
Cela faisait cinq jours que les Lefroy dormaient ici. Au départ, les regards avaient fusé dans sa direction. On était choqué de la voir en vie, on la croyait morte depuis des semaines... Ou bien, si on la savait encore vivante, on s'interloquait devant son état physique déplorable. Surtout qu'elle refusait de se laisser approcher ou toucher, et qu'elle gardait en toute occasion un mutisme parfait. On ne la voyait jamais manger, ni bouger. Elle était le petit monstre effrayant de l'assemblée. On l'évitait. Rares étaient les personnes qui osaient s'approcher trop d'elle. Pire, certaines craignaient pour leur propre santé, en pensant se faire contaminer par les maux qui détruisaient Alice si, par mégarde, ils se mettaient à respirer le même air qu'elle. On la fuyait comme la peste.
Et c'était bien mieux ainsi. Au moins, personne ne la dérangeait. Personne ne venait lui parler. C'était parfait. Elle n'avait plus d'espoir, plus de foyer, plus d'Amour, plus rien. Elle glissait dans l'oubli le plus total et, quand plus personne ne lui prêterait la moindre petite attention, même pour échanger deux ou trois piques histoire de passer le temps ; alors, elle disparaîtrait. Elle disparaîtrait pour de bon, sans laisser personne lui voler cet instant. Elle serait engloutie ; noyée dans son chagrin.