Yelizaveta resserra les pans de son manteau autour d’elle, et fut heureuse de sentir la fourrure contre sa joue : elle avait bien fait d’emporter avec elle les vestiges de sa vie passée auprès de ses parents. Native de Russie, elle connaissait bien l’hiver et le froid qu’il entrainait dans son sillage inlassablement, néanmoins, elle en souffrait toujours autant, même si les fourrures qu’elle arborait sur presque toutes ses tenues l’aidaient à supporter cette époque de l’année. Comme lorsqu’elle était enfant, elle souffla, et fut heureuse de constater que son haleine formait toujours la même fumée blanche qui s’élevait vers les cieux. Elle aimait cette période de l’année, plus que toutes les autres… Quand tout était blanc, que les fêtes de fin d’années approchaient… oui, cela valait entièrement la peine de supporter cette froidure et cela lui rappelait tant ses années de bonheur passées auprès de ses parents dans sa chère Russie.
Levant la tête, elle aperçu enfin le cottage où elle désirait se rendre – perdue dans ses pensées, elle n’avait pas remarqué qu’elle était déjà aussi proche –, et en voyant le quartier peu recommandable où ce dernier se situait, elle se félicita in petto de ne pas avoir emmené sa fille avec elle. Au moins, Franziska était au chaud dans la mansion des Handilton et Lynn – une jeune écossaise – prenait soin d’elle ; cette simple idée, suffit à réchauffer Yelizaveta. Il était temps pour elle de prendre les choses en main, et de faire ce pourquoi elle était venue en Angleterre : sa raison première du moins.
Lorsqu’elle était arrivée à Meryton, elle avait été déçue d’apprendre qu’aucun Handilton qui y résidait ne connaissait de Tatiana, ni de jeune fille d’origine slave, mais elle n’avait pas baissé les bras pour autant. Elle avait trouvé son salut en la personne d’un serviteur des Handilton – qui, ayant surpris sa conversation avec les maîtres des lieux, lui avait confié qu’il existait une personne apte à l’aider dans ce petit village, et c’était emplie d’une sincère gratitude, que Yelizaveta avait recueilli ces informations, informations qu’elle avait d’ailleurs grassement payées en retour.
Prenant son courage à deux mains, elle s’avança péniblement sur le sentier qui menait au logement que ledit serviteur lui avait décrit, en soulevant ses jupes à deux mains pour éviter qu’elle ne se salisse de trop. Puis devant la porte close elle hésita… Elle ne connaissait pas la personne qui vivait ici, pouvait-elle lui faire confiance ? Ou allait-il se jeter sur elle en pointant une dague sur son cou, exigeant d’elle l’entièreté de sa bourse ? Cette pensée la fit frissonner et elle tâta l’une de ses poches pour vérifier si sa propre dague s’y trouvait encore, en cas de nécessité. Le fait de savoir qu’elle possédait une arme la revigora, et elle toqua trois petits coups rapides sur la porte de bois ; tout en retenant son souffle, elle attendit que quelqu’un lui ouvre ou que – du moins – du bruit se fasse entendre à l’intérieur, qui pour le moment était complètement silencieux.

Brusquement la porte s’ouvrit, et Yelizaveta recula d’un pas, surprise. Elle détailla l’homme qui lui faisait face, et l’espace d’un instant, elle resta figée. Elle devait s’être trompé d’endroit, cela ne pouvait pas être le « détective » dont on lui avait parlé ! Lui faisait face un homme de grande taille et de larges épaules, le genre de personnes qui ne devait pas passer facilement inaperçu, or elle avait toujours imaginé que les limiers ressemblaient plus à des hommes sur qui on ne se retourne pas quand on les croise sur notre chemin : petit, malingre, chauve, au visage passe-partout… Non, décidément, elle devait s’être trompée d’endroit, il ressemblait plus à un bucheron qu’à autre chose !

« - Excusez-moi, j’ai dû me tromper de cottage. Je recherche un certain Ward… »

Le visage de son interlocuteur demeurait de marbre, il ne semblait pas vouloir réagir, ni même lui répondre…

« - Peut-être savez vous où je peux le trouver ? Il me semble qu’il habite dans les environs, mais les logements se ressemblent tous… »

Son accent, fortement marqué lorsqu’elle utilisait la langue anglaise aurait tout de même du faire tiquer l’homme, mais ce dernier semblait imperturbable.
Soudain, le vent se leva, le froid transperça son manteau, et elle sentit le découragement percer en elle. Le monde semblait se liguer contre elle, et cet impudent personnage qui ne semblait pas vouloir lui dire quoi que ce soit … Elle allait finir comme un glaçon sur place, alors que lui continuait de l’observer sans rien dire. « абза́ц » marmonna-t-elle énervée. Si tous les anglais étaient ainsi, jamais elle ne retrouverait sa sœur ! Énervée, elle lui jeta un regard noir et tourna les talons, s’apprêtant à partir.

Yelizaveta pivota derechef en l’entendant. Ainsi, il savait où se trouvait le Ward dont on lui avait parlé… Intéressant. Elle lui fit à nouveau face et lui dédia son plus grand sourire, même si son regard restait aussi froid que de la glace. Elle savait par expérience, que se montrer aimable permettait de découvrir les secrets les mieux gardés. Néanmoins, une petite chose dans son commentaire l’avait piquée. « Mrs », comment osait-il ainsi la rabaisser ? Elle était bien trop habituée à une certaine déférence, que pour tenir sa langue, aussi lâcha-t-elle un :

« - Son Altesse. »

Corrigea-t-elle machinalement, avant de se mordre la lèvre. Si elle voulait passer inaperçu elle venait d’échouer magistralement ! Elle risquait fort d’attirer l’attention sur elle si elle commençait à citer tous ses titres de noblesse. Aussi reprit-elle avec un sourire un peu plus contrit cette fois.

« - J’ai besoin de ses services… Il peut m’aider. »

Elle ne pouvait tout de même pas dire à cet inconnu « Bonjour, je recherche un certain Ward afin qu’il retrouve ma sœur qui s’est enfuie en Angleterre et qu’on tue le fripon qui a osé provoquer cette fuite ! », cela aurait été tellement inconvenant ! Indigne de sa personne. Le vent soufflait de plus en plus, et cette fois, Yelizaveta regretta amèrement de ne pas avoir apporté de chapeau avec elle.

« - Pouvez-vous me dire où je peux trouver cette personne, maintenant, s’il vous plait ? Il fait assez froid, il serait fort regrettable que je prenne froid. »

Elle espèrait ainsi susciter sa compassion et lui faire lâcher le morceau plus rapidement, elle avait tellement envie de trouver cet homme, de lui faire part de ses attentes, puis de retourner à la demeure des Handilton et se réchauffer au coin d’un feu avec sa fille… De plus, plus vite elle mettra un détective sur les trousses de sa sœur, plus vite elle parviendrait à la retrouver. Elle commençait vraiment à s’inquiéter pour sa cadette… Tatiana avait toujours été si rêveuse… Dieu seul savait entre les mains de qui elle avait bien pu tomber… Ce freluquet d’Handilton, dont personne ne semblait connaitre l’existence lui inspirait les pires sentiments – et ce, sans l’avoir jamais vu, mais elle avait l’intime conviction qu’il était semblable à son époux, et ce qu’elle désirait le moins au monde, c’était que sa sœur se fasse piéger comme elle l’avait été elle-même quelques années plus tôt.

Exaspérée. Yelizaveta était exaspérée ! Elle leva les yeux au ciel et serra des poings. Si son père avait été présent, il aurait déjà enfourché ce stupide personnage, qui devait être issu de la populace, songea-t-elle dédaigneuse. Quelle idée stupide que de s’aventurer en ces lieux seule ! Mais elle ne pouvait demander à l’un de ses généreux hôtes de l’accompagner, il ne l’aurait pas comprise. Et les rares personnes qui l’avaient accompagnée en Angleterre n’étaient pas dignes de confiance, ils étaient à la solde de son mari, et elle ne désirait surtout pas que son mari apprenne les véritables raisons de sa venue en Angleterre. Il serait capable de faire en sorte de la ramener de force chez elle, s’il apprenait qu’elle était désireuse de retrouver sa sœur… il pensait qu’elle voulait s’acoquiner à l’aristocratie anglaise, qu’il continue donc de penser cela !
Elle fit un mouvement de la main qui signifiait qu’il ne devait pas s’arrêter aux titres. Après tout, il n’était qu’un homme de la plus basse extraction, elle ne se trouvait pas dans un salon de thé, ou dans une soirée mondaine, où là, son titre aurait eu son importance…

« - Je le payerai plus que grassement. »

Puis voyant son regard s’attarder sur son corps, elle rajouta rapidement :

« - Lorsqu’il aura accompli sa mission, cela va de soi. »

Elle n’aimait pas son ton condescendant. Il semblait se moquer d’elle…

« Je…Nous… En fait, nous avons un ami commun. »

Elle se mordit la lèvre pour éviter de sourire. Un « ami », comme si un simple serviteur pouvait être un ami d’une reine, de plus, il n’avait pas semblé particulièrement être proche du Ward lorsqu’il y avait fait allusion…

« Bon, cessons de tergiverser, voulez-vous. »

Elle sortit de sa poche une pièce d’or et la lui tendit.

« -Veuillez m’indiquer où ce trouve Mr Ward, que je puisse lui parler de l’affaire qui nous intéresse. Si je continue de parler avec vous sur le seuil de votre…euh maison, je vais finir par ressembler à un bonhomme de neige. »

Yelizaveta rougit en l’entendant parler ainsi.

« -Surveillez votre langage je vous prie. »

Puis elle haussa les épaules. Pour elle, cette pièce n’avait qu’une valeur infime et ne représentait guère d’importance, alors que pour un homme tel que lui, il devait s’agir d’une fortune qui lui servirait à nourrir sa famille pendant près d’un mois. Elle hocha la tête, dédaigneuse : elle aurait au moins fait un heureux en cette journée, elle irait sans doute au paradis pour sa bonne action, se dit-elle railleuse.
Puis, elle sortit rapidement de ses pensées en l’entendant dire qu’il était le Ward qu’elle cherchait. Persuadée d’avoir mal entendu, elle écarquilla les yeux et faillit en perdre son latin.

« - Vous plaisantez j’imagine ? »

Il devait s’agir d’une plaisanterie, il ne pouvait en être autrement. Il avait remarqué qu’elle avait de l’argent et désirait sans doute lui en retirer plus. Quelle sotte elle avait été d’avouer son rang… Une pauvre tête de linotte. Son père avait bien raison de lui dire qu’elle parlait trop… Dire qu’elle s’était toujours vantée d’être une manipulatrice hors pair… Elle venait de se griller en l’espace de quelque seconde… Et voilà qu’il l’invitait à entrer dans sa cabane. Elle fronça les sourcils, et le considéra d’un air inquisiteur.

« -Qu’est ce qui me fait dire que vous êtes bien le Ward que je cherche ? Qui me dit que vous ne vous vous faites pas passer pour lui uniquement par cupidité ? »

Il faisait décidément froid, songea-t-elle en remarquant qu’elle se dandinait d’un pied à l’autre depuis un certains temps, dans l’espoir de se réchauffer : une attitude indigne d’elle. Aussi, se pencha-t-elle un peu pour distinguer l’intérieur : il devait faire plus chaud près d’un bon feu, qu’ici.

« - Avancez, je vous suivrai. »

Finit-elle par lâcher. Précéder ce personnage aurait été bien plus logique, mais elle avait peur qu’il ne décide de la poignarder dans le dos – et l’arme qui scintillait et qu’il tenait en main n’était pas pour la rassurer. Yelizaveta se mordit la lèvre, elle se trouvait terriblement… pathétique tout à coup, comment pouvait-elle tomber aussi bas ? Tout aurait été bien plus simple si elle l’avait reçu dans un bureau à la mansion des Handilton….

Yelizaveta fut soulagée lorsque celui qui se prétendait être Ward la précédait : au moins, il ne lui causait pas de problèmes dans l’immédiat, ce qui l’arrangeait considérablement, même si elle était rompue aux arts de combats – son père ayant tenu à ce qu’elle sache se défendre – elle n’était pas sûre de faire le poids face à un tel personnage. Elle le suivit à l’intérieur, et avant de refermer la porte derrière elle, vérifia qu’il n’y avait personne d’autres en ce lieu : il ne fallait pas qu’elle tombe dans un piège. Soulagée de ne trouver personne d’autre et par la vue du logement à la décoration désuète mais propre, et refermera derrière elle la porte, du bout des doigts.
Elle s’approcha du feu, auquel elle présenta ses mains pour les réchauffer, puis au bout de quelques minutes, elle finit par se retourner et faire face au maître des lieux. Elle se sentait un peu gênée de se trouver dans un tel lieu, seule de surcroit. Si elle avait été dans le Royaume de son époux, ou en Russie, sa réputation en aurait pris un sacré coup, heureusement pour elle, pour le moment, peu de personnes savaient réellement où elle se trouvait et qui elle était.
Son arme brillait désormais sur la table, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il n’y en avait pas d’autres dans cette magasin, que du contraire, si ce qu’on lui avait dit était correct, il devait en posséder de nombreuses autres. Un frisson lui parcourut l’échine, et elle s’humecta les lèvres pour se donner une contenance avant de parler.

« -Il n’est pas bon, de nos temps, d’avoir des ennemis… Et je suis sûre que par la profession que vous exercez vous devez en avoir un certain nombre. »
Elle lui désigna une chaise.

« -Je me sentirai plus à même de vous faire part de ma requête si vous ne me dominiez pas de toute votre taille. »
Elle avouait se sentir inférieure, décidemment, elle commettait toutes les erreurs possibles. Une reine ne pouvait admettre ses défauts, encore moins dans pareille situation. Elle soupira, frustrée. Depuis son arrivée à Meryton, elle commettait bêtise sur bêtise, cela ne lui ressemblait pas…

« - Votre profession… doit être bien lucrative, peut-être devriez-vous investir dans … l’immobilier ? »
Reprit-elle. Elle désirait ainsi en apprendre plus sur son interlocuteur, pour vérifier qu’il disait vrai quant à son identité. Ce n’était pas le moment de commettre une monumentale gaffe supplémentaire.