Alice naquit dans la nuit enneigée du 3 Décembre 1795. Ce ne fut pas un instant heureux. Du moins, pas pour tout le monde. David Lefroy, son père, était en visite chez d'importants amis pour affaires à Londres, et ne vit sa fille que deux semaines après sa naissance, plutôt satisfait, lui. William Lefroy, son frère, alors âgé de 5 ans, fut déçu qu'on ne le laisse pas entrer dans la chambre de sa mère pour découvrir le visage de sa petite sœur, et comprit seulement le lendemain qu'il ne pourrait pas s'en faire une compagne de jeu avant quelques années... La plus insatisfaite, en réalité, fut Catherine Lefroy, sa propre mère. L'accouchement fut terriblement pénible pour elle, et elle ne trouva aucun soulagement à son issue, car on lui annonça ce qu'elle redoutait le plus : elle venait de mettre au monde une fille. Pas un garçon, pas un deuxième héritier pour la fortune Lefroy, mais bien une fille. Un inconvénient, en somme. Une enfant qu'elle devrait initier aux bonnes manières, qu'elle devrait instruire et qui lui coûterait une fortune en tenues et autres parures dans le seul but de trouver un aimable mari de son rang, afin de préserver l'honneur de la lignée Lefroy... Une enfant qui deviendrait rapidement une jeune fille, puis une femme, et qui la dépasserait peu à peu en beauté, quand elle, serait progressivement rongée par les fléaux de la vieillesse... Non. Catherine ne pouvait pas s'y résoudre : aimer cette enfant lui sera tout bonnement impossible.

Un jour de Juillet, en 1801, la petite famille et quelques amis organisèrent un goûter à l'ombre des arbres au bord du Weymouth Lake. Les enfants furent autorisés à aller s'ébrouer dans l'herbe, à condition de rester en vue de leurs parents. Pourtant, Catherine dû relâcher son attention quelques instants, car Alice, alors âgée de bientôt six ans, s'éloigna du groupe sans que sa mère ne lui fasse aucune réflexion... C'est William qui avertit tout le monde d'un cri, avant de se jeter dans les eaux du lac pour aller y chercher sa sœur, proche de la noyade. Il fut rapidement aidé par les autres gentlemen du petit groupe, et ils parvinrent ensemble à sauver Alice. La fillette fut néanmoins contrainte de garder la chambre pendant un mois, souffrant de troubles de la respiration suite à l'ingurgitation de l'eau du Lac. Catherine, fautive aux yeux de son mari, qui était cependant trop poli pour ne pas faire de remarque, ne montra aucune forme de culpabilité, et son aversion pour Alice, qui n'était un secret pour personne, sembla même redoubler à partir de ce jour-là. Alice, quant elle, garde aujourd'hui encore une peur phobique des eaux trop profondes.

Le 4 Décembre 1803, Alice eut une surprise un peu particulière pour ses huit ans. Cette grande Dame âgée, qui se tenait plus droite que tout autre habitant de Meryton, Alice ne la connaissait pas. Et pourtant, Miss Lydia Owen semblait déjà tout connaître d'elle, et serait sa gouvernante pour les années à venir ! Avec Lydia, les choses ne seront plus comme avant. Finis les après-midis entiers où Alice traînait dans les pattes de son frère pour l'observer jouer aux échecs ou faire la lecture. Dorénavant, seule la Discipline comptait, et il se trouve qu'Alice en manquait désespérément... devinez d'après qui. Alice, sous la tutelle de Lydia, apprit donc le piano, la peinture, le Français et l'Italien... et tout ce que "se doit de savoir une Dame". Mais elle ne faisait jamais assez bien. Alors, Lydia sévissait. Peu, au début. Doucement... Puis de plus en plus, encouragée par la mère de la jeune fille, apparemment très exigeante en matière d'éducation... Ou plutôt ravie de voir cette maudite enfant punie. Miss Owen commença donc à frapper Alice. Violemment. Mais le caractère extrêmement altruiste et bon de la jeune fille, en dépit de tous ses malheurs, fit qu'elle ne dit mot à personne. Seules les marques violacées, parfois plus rougeâtres, parsemées sur son corps témoignèrent et témoignent encore aujourd'hui de la violence qu'elle subit chaque jour en silence. Et quotidiennement, c'est le regard choqué de ses femmes de chambre qu'Alice affronte... honteuse, au fond, d'être si faible, et les suppliant de garder le secret.

Ce qu'il manque à Alice, c'est un ami de qui elle pourrait être véritablement proche. Bien sûr, elle a son frère, et leur relation est très fusionnelle, mais tout de même, quelqu'un d'étranger à sa famille ne lui ferait certainement pas de mal, et lui permettrait de s'ouvrir un peu plus. Pourtant, la jeune fille préfère rester seule et profondément secrète par rapport à tout ce qui concerne sa vie quotidienne... de peur, un jour, de trop en dire à quelqu'un. Elle est incapable de tenir sa langue, c'est ce que lui répète sans cesse Lydia. Elle est incapable tout court, en fait, d'après sa gouvernante. Alors, pour ne pas importuner les autres avec ses défauts, Alice aime se promener en pleine campagne, histoire de prendre l'air et de rêver à de jours meilleurs. Son grand échappatoire reste la lecture, et elle affectionne tout particulièrement certains auteurs... féminins. Bien sûr, de telles lectures lui sont formellement interdites, car jugées porteuses d'idées trop osées pour une jeune fille de son rang. Mais, secrètement, Alice collectionne ces ouvrages, qu'elle obtient par le biais de son frère aîné, toujours prêt à combler sa sœur. La seule personne au courant, en dehors d'eux deux, est l'une de ses femmes de chambres. La plus jeune des trois, mais aussi la plus douce et attentionnée, celle qu'Alice préfère et celle en qui elle a le plus confiance, Talia Grace. Alice voit en elle une sorte d'amie, ce qui est un peu particulier. Elle sait que Talia ne la trahira pas, du fait de leurs rangs respectifs... mais aussi, peut-être, parce que Talia l'apprécie en retour.

Lorsqu'elle avait seize ans, lors d'un de ses rares moments d'escapade à travers les paysages ruraux de Meryton, Alice tomba sur un couple batifolant sans la moindre discrétion au détour d'un chemin sinueux. La jeune fille, d'abord choquée par le spectacle, ne put retenir un léger cri de surprise, mais il se perdit par miracle dans les gémissements d'extase des deux amants, qui ne remarquèrent donc pas sa présence. D'un naturel discret et silencieux, Alice parvint à se faufiler loin d'eux en quelques instants, et l'affaire fut terminée... Pourtant, elle avait eu le temps d'en voir bien assez. Cette manière brutale que l'homme avait de maintenir la femme en place, l'empêchant de faire le moindre geste, la dominant de toute sa force... Alice en avait des frissons d'horreur. Venait-elle d'assister à un viol ? Cela y ressemblait fortement. Ou alors, son manque d'expérience en la matière, tout naturel car elle n'était pas mariée, lui avait mis en tête une représentation de l'acte plus douce, plus passionnelle, mais erronée ? Grandes furent dès lors ses craintes quand Lady Catherine, peu après la mort de son cher Père, lui annonça qu'elle devrait bientôt épouser un jeune homme qu'elle ne connaissait pas pour le salut familial ! Serait-elle contrainte de subir à son tour les désirs fiévreux de son futur époux ? Cela serait-il aussi violent et dépourvu de douceur ? Alice est de plus en plus terrorisée par l'idée, et aimerait fortement bénéficier d'un peu de répit... Heureusement pour elle, William semble déterminé à lui épargner un tel mariage arrangé.