Danny avait été chargé de faire une course pour les Leycester, mais on ne lui avait toutefois pas précisé de limite de temps ou dit que cela était urgent, en conséquence, le jeune homme ne se pressait pas. En réalité, il flânait entre les différents magasins, regardant avec philosophie tout ce qu'il ne pourrait jamais obtenir, ou alors qu'il ne pourrait jamais s'offrir de manière honnête... Il retira sa veste en soupirant et la posa sur son épaule. Que devait-il trouver déjà ? Bah, c'était sans importance, aucune, il s'en souviendrait bien à temps. Il avait faim. Et soif. Et envie de parler. Au fond, Danny était un intarissable bavard, rien ne valait plus pour lui que la joute verbale. Pour son malheur, son rang social ne lui permettait pas de s'adresser à qui il voulait et de dire ce qu'il avait envie. Ce qui, entre parenthèses était bien dommage.

Il arriva sur la place de Meryton et s'arrêta un instant. Toutes les bonnes gens de Meryton s'y promenait sous un soleil pâle, avec l'air maniéré qui amusait et agaçait Danny à la fois. Il avait, lui, la chance assez incroyable malgré sa condition et son caractère, d'avoir l'air élégant sans y mettre trop de manière. Sans doute son petit côté séducteur et charmant dépeignait sur sa manière de marcher et de parler. Bon, n'en rajoutons pas trop, Danny restait un fermier, habillé en conséquence, bien loin de la classe et l'élégance des gentlemen. Mais Danny savait par expérience que ce petit côté pauvre chez lui, donnait une dimension romantique à son existence et plaisait beaucoup à ses dames de la haute (moins aux filles de petites vertues, qui somme toute préféraient que les hommes soient riches) qui aimaient se faire frémir par des amours interdites.

Il aperçut, prés de la fontaine Miss Daphnée Grant, une fort belle jeune Lady, qui justement, ne semblait pas si sensible que ça au charme de Danny et s'offusquait de le voir tenter de la séduire. Le jeune homme s'amusait beaucoup avec elle. Son visage s'éclaira et il se pressa en direction de la jeune femme, qui se promenait seule en compagnie d'une domestique qui la suivait le visage baissé comme il convient. Il sourit à ladite domestique, étant de même condition, et pensant l'avoir déjà rencontrée. Il s'inclina ensuite pompeusement devant Miss Grant et lui sourire, charmeur, en se redressant. Il s'adressa à elle sur ce ton piquant et subtile qu'il maîtrisait si bien :


"Miss Grant ! Vous illuminez ma journée ! Et moi qui trouvait le soleil trop pâle ce matin, il n'en est que plus depuis que vous êtes apparue... Et comment vous portez vous ?"


Il prit la main de Daphnée et lui fit un baisemain, sans poser les lèvres sur la main de la jeune femme bien sûr, comme le voulait les convenances. Il était un jeune homme bien élevé tout de même...

La tempête semblait s’être assoupie quelques heures sur Meryton et après avoir longuement hésité à sortir, Daphnée avait finalement décidé d’en profiter pour faire quelques courses pour la réception prochaine qu’elle donnait. Après tout, en des temps pareils il ne fallait pas se laisser abattre. Ainsi, la jeune Lady avait fait sa toilette des plus promptement, avait enfilé une belle robe verte française, avait coiffé ses longs cheveux bruns de façon à ce qu’ils soient lisses et s’était mis un bandeau assortit au vert bouteille de sa robe dans sa chevelure qui retombait coquettement sur ses épaules. Une fois prête, la demoiselle demanda qu’on lui prépare une voiture et, accompagnée de sa domestique, elle se dirigea vers la ville. Le soleil ne s’était pas montré depuis des semaines et aujourd’hui, il y avait de l’espoir, un espoir qui n‘était point présent la veille. On ne le voyait guère, mais on savait qu’il était là, derrière ces gros nuages noirs, car quelques uns de ses rayons les transperçaient. Et apparemment, tous avaient eu la même idée, venir chercher le peu de provisions qu’ils restaient dans les marchés. Seulement, Daphnée n’était pas là pour la nourriture, les cuisiniers savaient ce dont-ils avaient besoins, tout comme la jeune Grant savait ce qu’elle souhaitait pour son gala. Ayant déjà fait un magasin de ruban, la jeune femme les avaient dévalisé ne sachant pas vraiment qu’elle tenue elle porterait le soir convenu, ne pouvant aller faire ses emplettes à Londres ou Paris en raison du mauvais temps.

Se trouvant à présent sur la place du village, bordant la fontaine continuant de cracher son eau malgré tout, Daphnée marchait paisiblement, réfléchissant dans quel magasin entrer pour trouver de nouvelles bougies, exigeant que toute sa réception soit parfaite, sa domestique la suivant derrière elle de près. Mais avant même qu’elle n’eut pu décider quoi de ce soit, Danny O’Loughlin s’était dirigé vers elle. Un soupire s’extirpa d’elle, sans qu’elle ne puisse véritablement le contrôler, c’était plus comme un réflexe. Danny était quelqu’un de très intelligent et elle l’appréciait beaucoup, il l’amusait et l’agaçait en même temps. Il savait qu’il avait un charme fou, et pensait que toute la gente féminine était à ses pieds. Ce qui avait le don d’exaspérer la jeune Grant. Ce cher O’Loughlin était donc arrivé, avait salué la domestique puis avait claironné une tirade digne d’un jeune romantique à la demoiselle avant de lui baiser dans les règles de l’art, la main. Mais Daphnée n’était point si naïve et des hommes comme lui, elle en avait rencontré plus d’un lorsqu’elle séjournait encore à Londres. Ainsi, d’un ton qui se voulait ironique elle déclara :


- Comme je suis flattée d’avoir illuminé votre journée mon cher Danny !


Puis, se penchant légèrement vers lui et plongeant son regard mystérieux dans celui du jeune paysan, elle reprit d’un air sévère et cassant, murmurant presque :


- Mais je porte un titre qui est loin d’être celui d’une simple miss, ne l’oubliez plus à présent.


Se redressant, Daphnée lui afficha un sourire poli et déposa délicatement ses mains sur son épaisse robe, devant elle. De nombreuses aristocrates n’auraient souhaité pour rien au monde être vue en la compagnie d’un paysan en public, qui lui baisait la main encore moins, mais la jeune Grant aimait être remarquée et être différente des autres, elle aimait la provocation et faire parler d’elle. Seulement, il fallait imposer quelques règles à son jeu. Et Danny était parfait !

En effet, Daphnée Grant était une Lady... et quelle Lady ! Danny le savait, mais il n'aimait pas tant que ça se plier aux convenances, ce qui apparemment devait être le cas de Daphnée également. Elle qui acceptait de lui parler poliment en public... Cela n'était pas pour déplaire au jeune homme. D'une manière peu surprenante, Danny aimait les forts caractères, ou les étranges caractères (comme celui de sa cousine Erin d'ailleurs) tout simplement parce qu'il aimait ce qu'il ne contrôlait ou ne comprenait pas. Il adressa donc un sourire poli et entendu à Daphnée, et s'inclina une fois de plus un bras contre son ventre et l'autre derrière son dos, comme un militaire :

"Pardonnez-moi, Lady Grant, j'essaierai ne plus jamais oublier cette distinction à l'avenir... J'ai sans doute une trop grande tendance à vouloir abattre les barrières entre moi et les autres, le rang en étant une, je multiplie dans ce domaine les actes manqués..."

Il se redressa avec son léger sourire flottant toujours sur ses fines lèvres, et il plongea son regard malicieux dans celui de la jeune femme avec une impudence à peine palpable. Il se rangea à côté d'elle et lui proposa son bras :

"J'espère cependant que malgré cet impair, vous m'accepterez comme compagnon durant quelques instants de cette après-midi. A condition bien sûr que je sois digne de découvrir vos activités... Permettez tout de même que je vante mes qualités en tant que conseiller que ce soit vestimentaire ou sur tout autre sujet. On m'a toujours félicité pou mon excellent goût en matière de ruban et de linge. Ce serait un plaisir pour moi que de me mettre à votre service du moins rien que cette journée."

Il la regardait toujours avec son expression avenante et charmeuse. Il aurait mieux convenu qu'il propose son bras à la domestique, d'autant plus qu'après la tempête et les diverses rumeurs qui circulaient, il ne faisait pas bon de s'exposer à quelques inconvenances. Il voulait simplement voir si Daphnée Grant en était capable, ou si elle préfèrerait s'en tenir à son rôle perpétuel de jeune fille bien élevée.