Après des jours et des jours de pluie incessante, des jours où l'on voyait seulement des nuages aussi noirs que l'enfer dans le ciel, des jours où le vent était si puissant que l'on avait l'impression que des centaines de personnes hurlaient à l'extérieur, des jours où tous les habitants de Meryton n'avaient d'autre choix que de rester cloitrer chez eux, à l'abri, en attendant que la tempête cesse et en espérant qu'elle n'aille pas jusqu'à ravager entièrement les cultures et les maisons trop fragiles, après tant de journées maussades, la tempête avait enfin décidé de quitter Meryton, laissant la possibilité à ses habitants de reprendre une vie à peu près normale. Car, bien que la tempête les ai enfin laisser en paix, les habitants de Meryton avaient du pain sur le planche avec tout ce qui fallait reconstruire. De plus, une partie des cultures ayant été ravagées, il allait falloir énormément de courage à ces gens pour ne pas baisser les bras et assurer leur survis...

C'est à toutes ces choses que pensait Rupert tandis qu'il quittait le village de Meryton et gagnant les petits chemins qui le conduirait au lac de Weymouth. Ayant été très efficace durant la longue tempête, et ayant parfaitement endossé son rôle de majordome, s'assurant ainsi que ses maîtres ne manquaient de rien et que les provisions ne manquaient pas, son maître Tiddler avait accordé à ce cher Cassian une après-midi de congés. N'ayant absolument rien à faire, Rupert n'avait trop su quoi faire de ce temps libre, plutôt habitué à s'activer dans le manoir des Tiddler. Finalement, il avait pris la décision de se rendre au lac, ce qu'il n'avait pas fait depuis longtemps. En fait... Si ses souvenirs étaient exacts, la dernière fois qu'il était venu au lac, c'était en compagnie de sa chère Heather... Rupert s'arrêta brusquement pour chasser l'image de sa fiancée décédée de son esprit. Il était hors de question de se miner le moral. Il n'avait pas l'habitude d'être joyeux, cela n'était pourtant pas une raison pour aggraver les choses. Avec un profond soupir, Rupert releva la tête et reprit sa route.

Au bout d'une demi-heure, il parvint enfin à sa destination. En observant la surface limpide du lac, Rupert se rendit compte qu'il ne se rappelait pas à quel point ce spectacle était beau. Cet endroit dégageait une incroyable pureté. La sérénité de ce lieu était telle que l'on avait peur de la souiller. Un regard circulaire apprit au majordome que le lieu était désert. Apparemment, il était seul avec la nature environnante. Une bonne chose, ainsi il n'aurait pas à s'efforcer pour faire la conversation. S'approchant du bord du lac, le jeune homme se baissa pour toucher l'eau du bout des doigts. Bien qu'elle sembla fraîche, la température paraissait correcte. Après un rapide coup d'oeil autour de lui, Rupert se pencha et se retira ses chaussures. Sa chemise vit le même sort. Après avoir déposé ses affaires sur un rocher, Rupert, simplement vêtu de son pantalon, s'approcha d'un endroit qu'il s'avançait profond puis, prenant sa respiration, il plongea. Lorsque l'eau entra en contact avec sa peau, il ne ressentit que très légèrement le froid. Remontant à la surface, Rupert avala une bouffée d'air puis, paisiblement, il commença à nager, l'eau fraîche et le cadre merveilleux le détendant jusqu'au plus profond de son être.

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Par cette journée pendant laquelle il faisait étonnament beau, je décidai d'aller me promener en calèche. La tempête semblait s'être calmée depuis quelques temps, et malgré le fait qu'il y avait plusieurs travaux à effectuer pour effacer le passage de la tempête, les gens semblaient tous joyeux. Même moi, qui avait rarement l'habitude de sourire sans aucune raison, je chantonnais tout en me préparant à sortir. J'avais annoncé mon intention de sortir à notre conducteur, qui préparait maintenant la calèche pour notre promenade. Il m'avait mentionné qu'il était plutôt rare, même mal vu de sortir seule, surtout en calèche, alors qu'il n'y avait aucun évènement spécial. J'avais cru comprendre dans ses propos qu'il n'avait en fait aucune envie de préparer la calèche, qui n'avait pas servi depuis longtemps. Qu'à cela ne tienne, j'avais envie de sortir à l'extérieur et c'est ce que j'aillais faire.

Je sortis donc de la maison vêtue d'une jolie robe beige et bleue et d'un chapeau assorti pour me protéger du soleil. J'entrai dans la calèche avec l'aide du conducteur, et une fois à l'intérieur, j'ordonnai au vieil homme de me conduire jusqu'au lac Weymouth. Là-bas, il n'y avait presque jamais personne. J'aimais m'y rendre pour relaxer, mais aussi pour me rappeller mon ancien chez moi, à Ipswich. Autrefois, j'habitais avec mes parents et le reste de ma famille dans une villa près d'un lac. J'avais toujours aimé l'eau, qui était pour moi synonyme de quiétude.

Lorsque nous arrivâmes après plusieurs minutes, je descendis et demandai au conducteur de ne pas rester toujours près de moi. Je voulais être seule, sans quelqu'un guettant mes moindres mouvements. Hors, lorsque j'approchai de la rive, je me rendis compte que je n'étais pas la seule à avoir décidé de me reposer ici. Un jeune homme ayant enlevé ses chaussures et sa chemise se baignait dans le lac. Il me fallu quelques minutes avant de reconnaitre celui-ci: Rupert Cassian, majordome chez les Tiddler. Je le savais, car certaines demoiselles du village m'en avait parlé et me l'avait même montré de loin. En tant que femme, je me rendais compte que nous ne faisions pas grand chose mis à part raconter des potins, ce qui m'exaspérait un peu. Il y avait des choses bien plus intéressante que de raconter les dernières nouvelles de Meryton.

Quoi qu'il en soit, je ne pouvais tout de même pas repartir tout de suite, pour cause que je n'étais pas seule. Évidemment, je n'avais pas plus envie de rester discuter avec ce majordome, toutefois, je changeai d'idée lorsque je le vis sortir quelque peu de l'eau, torse nu. Il dû me remarquer, car il fit un sourire poli. Pas le genre de sourire qui veut dire "Je suis heureux de vous voir ici", mais plutôt le genre "Bonjour, que faites-vous ici". Je m'approchai donc encore un peu plus de l'eau. Je me serais bien agenouillée sur le sol, pour être un peu plus à sa hauteur, mais je jugeais que ce n'était peut-être pas digne d'une dame.

- L'eau est-elle bonne? demandai-je simplement. Cela doit être rafraichissant par cette si chaude journée.

Pour une fois, j'étais sincère alors que je m'adressais à ce Rupert. Je n'étais tout de même pas amicale, mais le fait que je n'étais pas "fausse" était déjà un début pour moi. Je ne savais pas si c'était le beau temps, le magnifique environnement, ou le beau jeune homme devant moi qui m'adoucissait. Je me penchai un peu, de façon à toucher à l'eau avec mes doigts. Comme j'avais envie d'y plonger moi aussi! Toutefois, c'était loin d'être convenable! Je l'aurais peut-être fait s'il n'y avait eu personne, mais maintenant il était hors de question que j'enlève ma robe pour me baigner alors qu'il y avait un inconnu devant moi. Ou disons, presqu'un inconnu; j'avais déjà entendu parlé de lui, mais j'ignorais s'il me connaissait.

- Désolée, de mon impolitesse: je suis Joyce Dereham. J'habite... chez les Wyatt.dis-je d'un ton neutre.

Tu parles! Quelle genre de première impression je donnais alors que je disais que j'habitais chez les Wyatt. Je ne comprenais pas pourquoi je disais tout ceci à cet homme. Peut-être que le fait qu'il ne soit qu'un majordome m'incitais à ne pas trouver de mensonge. Habituellement, j'avais l'habitude de rester vague sur l'endroit ou j'habitais. "Je suis à Meryton depuis quelques années...", "J'habite près de cette jolie ferme rouge...". Pas de quoi deviner que j'étais en fait la cousine déshéritée habitant chez les pauvres Wyatt.

Rupert nagea de longues minutes dans l'eau fraîche, sans se soucier de ce qu'il se passait autour de lui. Après avoir passé de longues journées à s'inquiéter à propos d'à peu près tout dans le manoir des Tiddler lorsque la tempête faisait rage, il songeait qu'il avait bien le droit de ne plus penser à rien pendant quelques minutes. Ces journées cloitré à l'intérieur n'avaient pas été des plus réjouissantes, autant pour le jeune majordome que pour tous les habitants de Meryton. En plus d'accomplie ses tâches quotidiennes, Rupert avait du vérifier chaque jour que les fenêtres n'étaient pas sur le point de céder sous la pression du vent, que les provisions ne s'épuisaient pas trop sinon il aurait du ordonner à quelqu'un ou se rendre lui-même au marché, bravant la tempête. Ses lèvres se serrèrent lorsqu'il repensa au temps qu'il avait du passer au service de ses maitresses. Ces dernières ne pouvant pas rendre visite aux propriétés voisines, elles avaient souvent passé leurs journées dans le salon à partager les derniers potins (aussi pauvres soient-ils) tout en sirotant des litres et des litres de thé. Cela n'avait pas été des plus reposant! Une chance que ses maitres ne possèdent pas tous un caractère méprisable: cela était assez difficile à supporter en temps normal alors en période de trouble, n'en parlons pas.

Au bout d'un long moment, durant lequel Rupert n'avait pensé à rien d'autre qu'au contact de l'eau fraîche contre sa peau nue et aux sensations agréables que cela produisait sur son corps, le jeune homme se décida à sortir de l'eau. Il prévoyait de s'allonger sur le sol en attendant d'être parfaitement sec puis il irait faire un petit tour du lac avant de regagner l'enceinte du village de Meryton. Cependant, lorsqu'il se retourna pour rejoindre le bord, Rupert se rendit compte qu'il n'était plus seul. Au bord de l'eau se tenait une ravissante jeune femme vêtue d'une robe de couleur claire l'observait. S'avisant que c'était sans aucun doute une noble dame, le jeune homme lui adressa un sourire poli. Prenant conscience de la personne qui se trouvait en face de lui, il s'empressa de rejoindre le bord du lac. Cependant, avant qu'il n'est pu se hisser hors de l'eau, la jeune femme se pencha quelque peu et s'enquit de la température de l'eau en lui déclarant que cela devait être agréable avec un soleil si chaud.

- L'eau est à une température optimale Miss. Après une si longue période à rester enfermer, il n'y a rien de plus agréable.Déclara Rupert en adoptant son regard neutre, celui qu'il affichait presque à chaque instant.

Jugeant qu'il n'était guère courtois de laisser une dame se pencher ainsi pour s'adresser à un homme inconnu, un majordome qui plus est, qui prenait du bon temps, Rupert s'excusa près de la jeune femme puis se hissa hors de l'eau. Il n'était pas plus convenable de se montrer seulement vêtu d'un pantalon qui lui collait à la peau à présent, aussi le jeune homme s'empara de sa chemise et s'empressa de la remettre tout en sachant qu'elle finirait aussi trempée que lui. Le jeune homme s'empressa de boutonner sa chemise blanche qui devenait transparente au fur et à mesure que l'eau s'imprégnait dans le tissu. Il releva la tête lorsque la jeune femme s'excusa de son impolitesse et se présenta.

-Une dame de votre rang n'a pas à s'excuser Miss Dereham. Permettez moi de me présenter je me nomme Rupert Cassian. Je suis le majordome de la famille Tiddler.Répondit-il, sans sourire, en s'inclinant légèrement en signe de respect.

Soudain, Rupert fronça légèrement les sourcils en se répétant le nom de la jeune femme. Joyce Dereham... Ce nom ne lui était pas inconnu. Et en y regardant de plus près, il lui semblait bien qu'il avait déjà aperçu cette jeune femme quelque part. Soudain, cela lui revint. Un des domestiques du manoir Tiddler lui avait dit que son caractère ressemblait de beaucoup à celui de Miss Dereham. Il la lui avait même montré, un jour où ils se trouvaient dans le village pour faire quelques courses pour le manoir. Ainsi, ils avaient fini par se rencontrer. Rupert doutait que Miss Dereham puisse lui ressembler. Il était surnommé le "fantôme du manoir Tiddler" et il ne voyait pas comment cette jeune femme pourrait être aussi fantomatique et aussi peu sociable que lui.

Spoiler:

Après s'être légèrement incliner devant la jeune femme en signe de respect, Rupert se redressa et se passa une main dans ses cheveux afin de les aplatir quelque peu, histoire de conserver une certaine contenance et de ne pas paraître impoli devant une dame de la haute société. Cependant, le jeune homme se doutait qu'il ne devait pas être très présentable avec ses vêtements trempés et à moitié transparents. Miss Dereham lui avoua avoir déjà entendu parler de lui. Ainsi, il n'était pas le seul à avoir cette impression de déjà vu. Apparemment, les domestiques du manoir Tiddler n'étaient pas les seuls à avoir fait un rapprochement entre leur deux personnes. La jeune femme poursuivit en disant qu'on lui avait parlé de lui comme une personne étant "discrète". Le majordome réprima un rire ironique en entendant l'adjectif avec lequel la jeune Dereham le qualifia.

-Oh vous n'avez pas besoin de vous montrer courtoise en ma compagnie Miss Dereham. Je suppose que l'on ne vous a pas parlé de moi comme une personne discrète mais plutôt comme quelqu'un d'associable qui fuit les gens comme la peste... Vous pouvez me dire cela, cela ne me vexera pas le moins du monde!

Depuis son plus jeune âge, Rupert était habitué à ce qu'on dise qu'il était totalement isolé de la société. Même son propre père avait eu bien du mal à comprendre ce besoin de solitude qui habitait le jeune homme depuis sa naissance. Il ne cherchait jamais la compagnie, éviter les gens sauf quand cela était impossible et, dans ces cas-là, il ne parlait que très peu voir pas du tout. En fin de compte, il n'avait été à peu près sociable que durant une petite période de sa vie: lorsqu'il était avec Heather. Durant deux ans, il s'était conduit comme une personne parfaitement normale, avenante et souriante mais depuis que sa fiancée était décédée, il était replongé dans son mutisme. C'est ce caractère spécial qui lui avait valu le surnom de "fantôme". Surnom qui l'amusait en somme. Il savait que certaines personnes n'étaient pas tranquille en sa compagnie, certaines avaient même peur de lui. C'était plutôt curieux non? Il était certes associable mais il ne pensait pas donner une image trop effrayante. Il n'avait jamais agressé personne et s'était toujours montré très courtois envers les gens issus de familles aisées. Miss Dereham lui demanda soudain s'il habitait Meryton depuis longtemps. Ne se souciant pas de la question classique, Rupert répondit aussitôt.

-Je suis né et j'ai toujours vécu à Meryton, Miss Dereham.

Rupert sentait parfaitement que Miss Dereham se forçait à faire la conversation. Le jeune homme ne soufflant pas un mot, elle devait se sentir obligée de combler le vide qui s'installait entre eux. Ses soupçons furent conformées lorsque la jeune femme s'excusa d'être ennuyeuse et avoua que la conversation était tout sauf sa spécialité. Rupert redressa légèrement la tête: il avait l'impression de s'entendre. D'ordinaire, c'était lui qui disait cela aux personnes qui se sentaient un peu gênées face à lui.

-Ne vous excusez pas Miss Dereham. Je ne suis pas une compagnie des plus agréables et, si il y a une personne à blâmer, ce n'est certainement pas vous.

Le majordome des Tiddler fut légèrement frappé par l'honnêteté dont faisait preuve jeune femme. D'ordinaire, les dames faisaient tout pour se présenter sous leur meilleur jour, parlait de manière très distinguée et l'accusaient gentiment ou non que c'était lui qui était en tort lorsqu'elles faisaient une erreur. Cette ravissante jeune femme agissait d'une manière complètement différente. Ravissante... Oui, elle l'était. Elle était absolument charmante dans sa robe claire, avec ses longs cheveux qui encadraient son visage délicat. En parlant de robe, Rupert s'avisa que la jeune femme devait mourir de chaud sous tant d'épaisseur. Peut-être s'était-elle rendue au lac dans le but de se baigner et que, à cause de Rupert, ce projet était tombé à l'eau? Un majordome n'ayant pas à dérangé les projets des dames, le jeune homme demanda poliment mais sans sourire:

-Miss souhaiterait peut-être profiter du beau temps retrouver pour se baigner? Si tel est votre désir Miss Dereham, dites le moi et je vous laisserai en paix.

Spoiler:

Rupert avait proposé à Miss Dereham de quitter le lac afin qu'elle puisse se rafraichir à son aise pour la simple et bonne raison qu'il n'était pas courtois de laisser une jeune femme distinguée souffrir de la chaleur sous ses tonnes de tissus alors que lui-même, un simple majordome, profitait de la fraîcheur de l'eau et du soleil retrouvé après tant de jours à se lamenter de la pluie. Si tel était le souhait de la charmante jeune femme, Rupert la saluerai poliment comment une personne de classe inférieure se devait de l'être puis il remettrai ses chaussures et regagnerait le manoir des Tiddler sans protester. Après tout, qui était-il pour importuner ainsi une jeune femme de la haute société? Surtout que le lac n'était pas souvent fréquenté. Cela relevait du hasard que tout deux se soient rencontrés ici. Miss Dereham lui offrit la réponse à laquelle il s'attendait. Elle déclara accepter avec plaisir cette proposition car la chaleur lui devenait insupportable. Le jeune majordome inclina légèrement la tête puis tourna un bref instant le dos à la jeune femme pour enfiler ses chaussures malgré le fait que ses pieds ne soient pas tout à fait secs. Après s'être redressé, Rupert observa la jeune femme et déclara:

-Si tel est votre désir, Miss Dereham, je me fais une joie de le réaliser. Je vous souhaite une agréable journée et une bonne baignade.

Sur ce, Rupert s'inclina légèrement puis contourna la jeune femme chaudement vêtue pour rejoindre le chemin qui le guiderait jusqu'au village de Meryton. Après tout, cela n'était pas plus mal que Miss Dereham lui ait avoué préféré rester seule pour profiter du beau temps qui s'offraient à eux. Visiblement, tout deux aspiraient à la solitude. Ils n'étaient pas de ces personnes qui avaient sans cesse besoin de compagnie ou faire la conversation sur un sujet qui avait était x fois mentionné. Cependant, Rupert se rendit compte avec un certain agacement et une pointe de surprise que la compagnie de la jeune femme ne l'avait dérangé outre mesure. Pire, il l'avait trouvé assez agréable. Était-ce parce qu'ils avaient tout deux des caractères assez semblables? Sans doute, Rupert ne voyait pas d'autres explications. La majordome se demanda alors ce qu'il allait bien pouvoir faire à présent. Il allait sans doute vagabonder dans le village pour tuer le temps jusqu'à ce que le soleil daigne décliner pour laisser place à la nuit. Cependant, Rupert n'eut pas le temps de faire plus de quelques pas car la voix de Miss Dereham retentit, le priant de s'arrêter. Intrigué, Rupert fit volte-face et observa la jeune femme. Cette dernière lui déclara qu'il pouvait rester en sa compagnie s'il le souhaitait, la rive étant assez large pour eux deux. Son visage ne laissant rien dévoiler, le majordome fut tout de même assez surpris par ce revirement.

-Votre aimable proposition me touche Miss mais je ne souhaites pas vous importuner plus que nécessaire.

La jeune femme ajouta cependant qu'ils pouvaient tout à fait rester ensemble sans échanger quelques paroles. Elle avoua qu'elle voyait le silence comme une belle chose. Rupert l'observa sans mit dire. Peut-être s'était-il trompé sur cette demoiselle: elle et lui avaient-ils peut-être plus de points communs qu'il n'y paraissait.

-Je vous remercie pour votre tolérance Miss.

Soudain, la jeune femme quitta ses souliers et s'approcha de la rive en relevant sa robe pour ne pas la mouiller. Rupert aperçut, bien malgré, la pointe de pieds de Miss Dereham. Troublé, le majordome détourna aussitôt le regard jusqu'à ce que les pieds de la demoiselle soient totalement submergés par l'eau. La jeune femme se retourna pour l'observer. Elle était vraiment charmante, il ne pouvait le nier. Les rayons de soleil caressant sa peau lui donnait une légère teinte dorée. Rupert quitta de nouveau ses chaussures mais ne la rejoignit pas, n'osant pas faire un geste dans sa direction.

Tandis que Rupert jetait un discret coup d'oeil dans la direction de Miss Dereham afin de s'assurer que ses pieds étaient bels et bien submergés dans l'eau fraîche, le majordome ne put s'empêcher de soupçonner la jeune femme d'ignorer délibérément les manières qui faisaient d'elle une femme de la haute société. Elle ne semblait guère gênée par l'exposition de ses pieds nus, d'ordinaire habilement dissimulés sous des quantités de jupons et autres fanfreluches. Une fois qu'il ne vit pas le moindre morceau de peau claire de la jeune femme, Rupert osa enfin se retourner pour l'observer. Comprenant ses réticences à entrer dans l'eau fraîche en sa compagnie, Miss Dereham lui assura qu'elle ne trouverait pas son geste déplacé et que, de toute manière, il n'y avait nulle personne autour d'eux pour les accuser de leur attitude trop désinvolte. Bien qu'il ne laissa rien paraître sur son visage, le jeune homme fut surpris par cette réponse. Il s'attendait à ce que la jeune femme le prit de rester sur la berge pendant qu'elle profitait de l'eau et voilà qu'elle lui disait tout le contraire! Quelle jeune femme étrange et si peu à cheval sur les règles! Il n'avait jamais vu une noble dame se soucier aussi peu de l'apparence qu'elle pouvait donner. Il avait toujours vu les femmes être convenables, ne paraissant en aucune manière déplacé et, surtout, ne montrant jamais de telles familiarités à une jeune homme inconnu, un majordome qui plus est! Enfin, Rupert connaissait bien Miss Shatterney, un des membres de la famille Tiddler qui n'en faisait qu'à sa tête, les règles de bonne conduite lui passant au-dessus... Mais avec Miss Dereham, cela semblait différent. En ce moment, la ravissante jeune femme lui paraissait... naturelle, beaucoup plus que toutes ses femmes qui donnaient une image qui n'était pas la leur. Jorce Dereham se révélait être une personne vraiment fascinante et, veuillez bien le croire, il en fallait beaucoup pour que cela vienne de Rupert.

Toujours hésitant quant à entrer complétement dans l'eau, Rupert avança doucement vers cette dernière. Il fit quelque pas au milieu des petits cailloux qui tapissaient le fond du lac, ses pieds soulevant des petits nuages de poussières qui s'évaporaient sous l'eau en un petit nuage. Finalement, le jeune majordome s'approcha d'un grand rocher plat qui était à la surface et alla s'assoir dessus, toujours silencieux pour ne pas déranger la demoiselle. Il observa avec courtoisie cette dernière qui marchait prudemment sur des roches qui restaient à la surface afin de ne pas ruiner sa toilette. Soudain, alors qu'elle se retournait et laissait échapper un début de phrase, Miss Dereham glissa sur la surface lisse du rocher sur lequel elle était perchée et tomba dans l'eau. Rupert se dressa d'un bond et avança péniblement jusqu'à la jeune femme qui était assise dans l'eau, le niveau juste en-dessous de ses frêles épaules. Heureusement, l'eau n'était guère profonde mais le majordome craignit qu'elle se soit blessée.

-Miss Dereham, êtes-vous blessée?Demanda-t-il dès qu'il fut à sa hauteur.

A sa grande surprise, la jeune femme éclata de rire, exactement comme une enfant qui serait tombée à l'eau malgré les remontrances de sa mère. Rupert dissimula mal sa stupéfaction devant une telle explosion de joie. Tandis qu'elle riait aux éclats, le jeune homme vérifia qu'elle n'avait aucune blessure apparente. La seule chose à présent notable était sa position peu élégante, ses vêtements trempés et ses cheveux qui dégoulinaient, quelques mèches rebelles lui tombant sur le front. En observant son visage si détendu et si joyeux, Rupert crut pendant un instant retrouver le visage de sa douce Heather et c'est, un peu malgré lui, qu'il adressa un de ses rares sourires à la jeune femme, contaminé par sa bonne humeur.

-Laissez-moi vous aider. Proposa-t-il dès qu'elle eut cessé de rire.

Avec politesse, il lui tendit sa main. Dès qu'elle y eut déposa la sienne, Rupert resserra ses doigts autour des siens et l'aida à se relever.

Quelque peu - même beaucoup - alourdie par sa robe totalement imbibée d'eau, Miss Dereham tendit sa main à Rupert qui la tint ferment et l'aida à se mettre sur ses pieds. Ce ne fut pas chose aisée à cause du poids important de la robe qui n'était déjà pas très légère avant d'atterrir dans l'eau du lac, mais le jeune homme était tout de même assez fort. Aussi, il ne laissa rien paraître et hissa sans difficulté la jeune femme hors de l'eau. Ruisselante comme si elle sortait juste de son bain, les cheveux en désordre, le maquillage légèrement coulé et la robe à présent totalement hors d'usage, Miss Dereham n'en garda pas moins son sourire ce qui étonna une nouvelle fois Rupert. Il n'était pas un expert en ce qui concernait la gente féminine et leur toilette mais le majordome se doutait que n'importe quelle autre jeune femme qui serait tombée tête la première serait en train de crier haut et fort en s'apitoyant sur son sort. La jeune femme agissait à l'opposé ce qui soulagea Rupert en un sens: supporter des cris hystériques avait le don de mettre ses nerfs à vif. La soutenant quelque peu, tout en restant courtois, Rupert escorta Miss Dereham jusqu'au bord de l'eau où la jeune femme s'assit sans faire de cérémonie. En même temps, vu l'état dans lequel elle était, ce n'était pas un peu de boue qui devait l'effrayer!

Toujours debout et bien droit, Rupert s'enquit une nouvelle fois de la santé de la jeune femme qui ne lui avait jusqu'alors rien dit, secouée d'un fou-rire dont le jeune homme avait toujours du mal à en comprendre la raison. Miss Dereham lui assura qu'elle se portait très bien. Rupert hocha légèrement la tête et contempla le lac, immobile comme une statue. Il avait craint qu'elle se soit blessée mais, visiblement, il y avait eu plus de peur que de mal. La jeune femme lui avoua alors qu'elle avait complètement oublié ce qu'elle souhaitait dire. Elle lui adressa un sourire que Rupert accueillit de manière neutre cette fois-ci. Rupert sourit intérieurement du tableau que la demoiselle et lui devait offrir. Lui, nu pieds, la chemise et le pantalon totalement trempés, moulants et quasiment transparents et elle, décoiffée, débraillée et dégoulinant comme une fontaine! Il ne préféra pas songer à ce qui se passerait si une personne venait à surgir derrière eux et à s'enquir de la raison de leur accoutrement et de leur air familier.... Il était vrai qu'une personne ne les connaissant point les jugerait bien proches et familiers pour se tenir ainsi l'un en face de l'autre. Tout ce que Rupert espérait, c'est que Miss Dereham n'aurait pas d'ennuis suite à cet incident. Lui doutait d'en avoir à moins que les gens se mettent à penser qu'il aurait importuné la jeune femme de manière peu civilisé...

Soudain, le sortant de ses pensées, Miss Dereham déclara qu'il était grand temps pour elle de rentrer afin de mettre une tenue un peu plus convenable et afin d'arranger son apparence. Rupert allait s'avancer pour l'aider à se lever mais elle anticipa ce geste et se leva d'elle-même. Le jeune majordome surprit alors une grimace de douleur chez la jeune femme lorsqu'elle s'appuya sur sa jambe. S'approchant d'un pas, Rupert demanda prudemment.

-Vous avez l'air de vous être blessée sérieusement Miss Dereham. Souhaitez-vous que j'aille cherché un médecin?

Il aurait pu proposé de regarder lui-même la blessure mais il doutait que cette proposition fasse accueillie avec joie. Si elle le désirait par contre, il le ferait. Le village de Meryton était certes un peu éloigné du lac mais, en courant, Rupert serait rapidement de retour. Selon lui, la blessure méritait d'être auscultée par quelqu'un de compétent.

Spoiler:

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La jeune femme à la robe trempée et à la jambe douloureuse réfléchit quelques instants à la proposition de Rupert de se rendre sur le champ au village pour faire venir un médecin qui pourrait l'examiner. Finalement, elle déclara que cela n'était pas nécessaire. Elle ajouta également qu'il lui serait difficile d'expliquer les évènements qui l'avait conduit à se blesser. Le majordome hocha la tête en signe d'approbation: il était clair qu'ils risquaient d'avoir des ennuis. En effet, il doutait que leur version convaincrait le médecin qui en viendrait aussitôt à des conclusions ennuyeuses et déplacées. Après l'avoir remercié de s'être tout de même proposé de l'aider, Miss Dereham formula le souhait qu'il l'accompagne jusqu'à son véhicule pour la soutenir quelque peu.

-Si tel est votre désir, je vous accompagne Miss Dereham.

Rupert s'empressa de se rechausser tandis que la jeune femme glissait ses pieds blancs dans ses petits souliers puis, se redressant, il s'approcha d'elle et se mit près, sans trop la toucher toutefois, près à la rattraper si elle trébuchait. Nullement gêné par le poids de sa robe, Rupert la retint du mieux qu'il pouvait. Guidé par la jeune femme, Rupert la conduisit jusqu'à sa calèche où un vieil homme à l'air un peu grincheux patientait. Rupert lui adressa un léger signe de tête, impassible. A leur arrivée, le vieil homme les dévisagea tour à tour puis jeta un regard peu amène à Rupert qui se contenta de la fixer froidement. Puis, tournant le dos au cocher, le jeune homme aida la demoiselle à monter à bord de sa calèche.

Une fois la portière fermée, Miss Dereham se tourna vers Rupert qui fut surpris, sans toutefois le montrer, que toute trace de bonne humeur avait déserté son visage. Même son ravissant sourire semblait avoir fuis ses lèvres, comme s'il n'avait jamais existé. Froidement, la jeune femme noble remercia le majordome et lui proposa de venir dans son domaine dès qu'il le souhaiterait.

-Ce fut un plaisir Miss Dereham. Je vous remercie pour votre aimable proposition mais je crains que mes obligations envers la famille Tiddler ne me permette guère de temps libre. Je vous souhaite un bon rétablissement.

Rupert s'inclina légèrement puis regarda droit dans les yeux la jeune femme, scrutant ses prunelles ou, désormais, il ne lisait plus que froideur. L'étincelle de joie qui les habitait auparavant avait également disparu. Tandis que la calèche s'éloignait, le jeune homme ne quitta pas le véhicule du regard. Le soudain changement d'attitude de Miss Dereham l'avait légèrement perturbé. Ainsi, elle n'était pas si différente des autres: fausse et froide, le genre de femme qui faisait tout pour donner une apparence parfaite. Cependant, Rupert ne comprit pas pourquoi elle avait été si naturelle en sa présence. Peut-être était-ce parce qu'il n'était qu'un simple majordome muet comme une tombe... Ou bien était-ce autre chose?