La revue surprise ce matin avait été correcte. Pour être sincère, Edward s'était attendu à une catastrophe en faisant lever le régiment aux aurores de manière impromptu avant de passer dans les baracks.
Il était hors de question que ses soldats se laissent aller à une quelconque paresse et Meryton était une ville si éteinte pour quelqu'un qui avait connu les champs de bataille que l tentation en était grande.

Lui-même avait du mal à garder un rythme énergique se levant plus volontiers à huit heure du matin au lieu des six heure réglementaire.

Il allait falloir reprendre un peu tout ça. Et il allait falloir surtout trouver des moyens de les occuper.

Et c'était pour cette raison qu'il avait entamé cette petite expédition en plein après-midi. Trouver un parcours simple mais suffisamment long pour faire suer ses recrues un poil.

Sous un soleil de plomb, la haute silhouette d'Edward Formell se dépliait sur la lande anglaise avant de se retourner. L'homme plissa des yeux et posa une main en visière afin de se préserver de la douleur que les rayons du soleil faisait naitre sur ses pupilles bleutés.

3 kilomètres? Pas assez. Il allait falloir faire le tour du bois.

Il sentait les perles de sueur couler le long de ses tempes et défit sa cravate d'un geste nonchalant puis enleva sa veste. Trop chaud pour être habillé comme un dindon et il était pratiquement certain qu'il ne rencontrerait personne.

Qui pourrait bien sortir à une heure pareille et sous un soleil aussi accablant?

Edward chercha dans sa mémoire la plus proche étendue d'eau et tourne ses pas vers l'endroit. La promesse d'une eau fraîche toute proche brûla momentanément sa gorge.

Le ruisseau n'était pas loin. A bien y réfléchir ce serait une bonne halte pour le contingent. Edward calculait combien de temps le détour leur prendrait quand il aperçut une jolie chevelure blonde et des mains aux doigts déliés qu'il pouvait reconnaitre n'importe où.

" Miss Allyson?" demanda réellement surpris Edward.

Tellement surpris qu'il en avait utilisé son prénom.

Edward se redressa en passant une main gênée dans ses cheveux courts. Il lui avait fait peur et ce n'était pas spécialement digne d'un gentleman. Néanmoins, il ne put empêcher un sourire passablement amusé émerger sur son visage. C'était sans doute l'une des pires pauses de défense jamais vu selon lui.

" Ouf !"

Ouf?

En effet. Edward n'eut pas spécialement le temps de tervigerser sur les mérites du combat à mains nues chez Allyson puisque cette dernière le gratifia d'un sourire tellement solaire qu'il ne put que se relaxer à son tour.

" Bonjour Colonel Formell ! Excusez ma réaction un peu.. inattendue, à-vrai-dire je ne pensais pas trouver quelqu’un dans un pareil endroit.."

Oh. Evidemment.

Edward arqua un sourcil, glissant à nouveau sa veste sur lui-même. Il avait un col défait mais au moins il aurait l'air un peu moins débraillé.

" La surprise est réciproque Miss Chesterfield." fit-il aimablement. " C'est déjà étonnant de trouver un colonel en pleine campagne anglaise sous un soleil de plomb, ça l'est encore plus quand il s'agit d'une jeune fille accompagné de son livre favori."

Edward s'approcha de la blonde jeune femme puis se pencha pour ramasser l'ouvrage qui était resté au sol. Mais au lieu de le tendre immédiatement vers son propriétaire, le militaire caressa les lettres dorées qui formaient le titre sur la reliure.

" Les Affinités Electives? Huh... je n'ai jamais rien lu de ce Goethe mais il a l'air terriblement à la mode ces derniers temps."

Edward tendit le livre vers Allyson pour qu'elle le reprenne.

" Pardonnez mon intrusion Miss Chesterfield. Tel n'était pas mon intention. A vrai dire vous me surprenez en pleine ébauche de stratégie militaire." continua Edward en étayant sa voix vers la fin de la phrase, comme s'il la mettait au courant d'un projet top secret.

Sachant l'imagination et la passion de la jeune fille pour les histoires extraordinaires ou même ses récits de voyages, il était certain de faire mouche.
Edward ne pouvait pas vraiment expliquer pourquoi il la favorisait de cette manière par rapport aux autres jeunes personnes de la société de Meryton, mais c'était un fait avéré. Sans doute son caractère, sa douceur et l'imagination qui débordait de ses yeux clairs. Il arrivait à bien mieux communiquer avec elle qu'avec Ann.

"Je vous le conseille grandement, c’est une pure merveille ! Cela doit faire au moins trois fois que je le dévore de la première à la dernière ligne, sans réussir à m‘en détacher."

Il l'enviait.

Vraiment.

Elle avait cette fougue si particulière, propre à son âge qui lui faisait maintenant défaut. Il avait tout perdu il y a peu à vrai dire.
Le souvenir le tira durant quelques secondes et il s'efforça desespérement de se raccrocher au visage souriant et immaculé d'Allyson. Ce n'était ni l'endroit, ni la compagnie pour se laisser aller à des souvenirs nauséeux. Bien au contraire. Il avait parlé de stratégies militaires dans le plus simple but de la distraire et il espérait que cela fonctionnerait.

" Une stratégie ? Vrai ? Vous devez me faire une grande confiance pour m’en parler ainsi."

Edward ne put empêcher le rire sincère qui passa ses fines lèvres malgré lui avant d'aquiescer aux paroles d'un air tranquille.

" Vrai." répondit-il en jetant un coup d'oeil au ruisseau qui coulait non loin de leurs pas. " Sauriez-vous garder ce secret pour votre pays? Puis-je vous confier les plans de cette ingénieuse stratégie? Et plus important encore... allez-vous me trahir Miss Chesterfield?"

Il se pencha vers la jeune fille et esquissa une moue faussement suspicieuse. S'il y a bien quelqu'un à Meryton qui était incapable de dissimulation et qui avait selon Edward un coeur pur cc'était bien Allyson Chesterfield.

A se demander comment elle pouvait avoir été engendré par cette famille bizarre d'ailleurs. D'un autre côté vu sa soeur et son beau-frère il n'avait rien à dire vraiment.

C'était presque trop simple et Edward eut la sensation nébuleuse de s'alléger sous le charmant regard de la jeune fille. De perdre ou de semer un peu plus facilement dans son esprit ses soucis habituels.

" Oui bien sûr que vous pouvez me faire confiance et.. Oh non ! Jamais je ne vous trahirait Colonel, jamais pour le moins du monde, quoiqu’il arrive.. Je vous le promet.."

Edward se mit à rire en secouant légerement la tête. Crown and Country n'est-ce pas?
Il lui offrit son bras d'un geste simple. C'était comme un oasis dans tout Meryton. Dans toute l'Angleterre.

Sauf qu'il ne méritait absolument pas la façon clair et sans tâche avec laquelle elle le regardait. Une pointe de désespoir latent enserra ses organes internes qu'il kicka avec une énergie sirupeuse.

" Vous ne devriez pas faire des promesses aussi facilement Miss Chesterfield, on ne sait jamais où cela mène..." fit le militaire dans un sourire nébuleux.

Lui en tout cas, ça l'avait mené à Meryton.

" Venez, je vais vous montrer."

Edward enjamba la racine d'un arbre et prit soin d'aider Allyson à ce qu'elle ne trébuche pas. Dieu seul savait comment les femmes faisaient avec leurs tenues!

En quelques pas ils purent contempler le ruisseau à leurs pieds.

" Ce sera une halte pour le régiment de Meryton. Je compte les faire mouiller leurs chemises un peu voyez-vous..."

Elle lui faisait réellement confiance et bizarrement c'était presque effrayant.

Battez-vous l'arme au poing, déjouez des embûches en pays étranger, survivez à des séances de torture et vous vous sentirez tout de même apeuré devant une jeune fille anglaise aux boucles blondes et aux rêves débordant des yeux.

C'était bien la peine d'être colonel, vraiment...

Elle lui faisait tellement confiance que s'en était indécent mais aussi réconfortant en soi et sans le vouloir, il resserra avec douceur son bras autour de celui bien plus fin d'Allyson.

" Ce n'est pas très bon pour des soldats de rester sans entrainement. Le comté est suffisamment vaste pour les faire courir plusieurs kilomètres tout en ayant un joli paysage sous leurs pieds."

Edward montra le chemin par lequel il était arrivé à Allyson.

" Une fois arrivée ici, on pourra reprendre en longeant le bois, et faire le tour complet de Meryton afin de revenir sur les baracks mais de l'autre côté..."

Edward parlait de manière quasi absente, visualisant le trajet et réfléchissant à haute voix.

" La première fois on ne fera pas tout d'un coup. Sinon ils vont mourir à l'arrivée..."

Le colonel tapota ses fines lèvres d'un doigt distrait en évaluant du regard la distance parcouru puis la distance entre le point d'impact du ruisseau et l'endroit plus lointain où l'on apercevait Meryton.
Se rappelant de sa jolie compagne, il eut un mince sourire d'excuse envers la jeune femme.

" Veuillez m'excuser Miss Chesterfield. Cela doit profondément vous ennuyer. Même moi je suis à deux doigts de m'endormir." plaisanta t'il d'un air calme. " Mais je vous ai révélé mes secrets oh combien terrifiants, n'en feriez vous pas de même? Que faites-vous dans les bois à cette heure-ci, toute seule?"

" Pas du tout Colonel, j’aime vous écouter parler."

" Oh." avait-il répondu, un peu décontenancé à vrai dire.

C'était quasi problématique tant elle lui répondait avec candeur et une gentillesse qui débordait de chacune de ses boucles blondes et de chaque centimètre de sa peau.

" Je veux dire.. Vous êtes passionné par ce que vous faîtes, cela fait plaisir à voir."

Passionné. Le terme fit relever les commissures des lèvres du Colonel en un sourire amusé. Le terme était étrange et peu de personne lui attribuait ce trait de caractère. Il faisait lui-même attention à toujours se montrer un peu trop froid, un peu trop sévère. Cela asseyait de manière plus évidente son autorité même si dorénavant il n'avait même plus besoin de tout cela tant la renommé de son inflexibilité et de son caractère incorruptible était connu (pour un peu il en pleurerait tellement c'était ridicule... surtout après ce dont il avait été témoin).

A peine la question de la présence d'Allyson fut-elle posé que cette dernière haussa les épaules.

" Disons que je cherchais le calme, la sérénité.. Ma tante est en répétition pour le théâtre, j’en ai donc profité pour m’isoler, pour me changer les idées, pour réfléchir.. Et puis il n’y a rien de tel qu’un décor tel que celui-ci pour déguster un si beau roman."

Edward laissa échapper un soupir agacé quand Allyson mentionna la tante. Le clou dans sa chaussure et vraiment, son coeur compatissait intensément avec Allyson. Il ne devait pas être évident tout les jours de bivouaquer autour de cette furie.

Evidemment il se garda de tout commentaire sachant pertinemment que Leonora Walder comptait de manière immense pour la jeune Allyson. Il serait un monstre de lui faire de la peine en mentionnant de manière fortuite son aversion pour Walder.

Du théatre en plus?

Ca ne l'étonnait qu'à moitié.

" Vous voulez dire... dans la compagnie professionnelle qui est en ville en ce moment?" demanda Edward d'un ton neutre.