Le petit matin apportait avec lui son lot d'angoisses et de remises en questions. Mais je n'avais d'autres choix que de me lever et d'affronter tous mes démons. La compagnie de mes cousines et tantes ne me plaisaient guère en ce moment de la journée où je sortais à peine d'une longue torpeur qui m'offrait un moment de répits. C'est d'ailleurs pourquoi, j'ai décidé de passer en coup de vent à la cuisine prendre une brioche fraichement cuite et de filer à l'extérieur profiter de l'air matinal et du silence de cette période de la journée. Je mors donc dans mon petit déjeunée en couvrant mes épaules d'un châle, puis sort par la porte adjacente à la réserve afin d'être certaine qu'aucun des Handilton me reprocherait de leur fausser compagnie de si bonne heure. Je croise la gouvernante qui me sourit en baissant les yeux, je savais pouvoir compter sur sa discrétion, depuis mon arrivée à Meryton, elle ne m'avait jamais fait défaut, et m'avait en quelque sorte adopté en tant que petite protégée. Je ne saurais me plaindre de sa gentillesse, et surtout de son admirable discrétion.

Je file vers le fond du jardin incroyablement vide à cette heure. Il en serait tout autrement dans quelques heures. Le manoir fourmillait toujours de milles et unes personnes, et les jardins étaient presque bondés si je peux m'exprimer ainsi depuis le retour du beau temps. L’attention est au moins tourner vers autre que moi, mais la solitude est bien difficile à trouver. Je soupire en m'offrant le luxe de me laisser choir sur l'herbe encore humide, le dos appuyer contre un saule pleureur qui me camoufle aux yeux des indiscrets. Je termine ma brioche et essuie mes doigts sur le revers de ma jupe et fermant les yeux afin de profiter de ce moment de pure passibilité. J'en suis là, dans mes propres pensés lorsqu’une toux féminine me fait ouvrir les paupières et redresser le menton. Une jeune femme à la belle allure, un châle également jeté sur les épaules se trouve devant moi le regard insondable et la moue sympathique. Sa prestance me secoue encore, même après les multiples rencontres, et ses yeux dans lesquels je ne puis rien lire me laissent perplexe.

- Bon matin, Lady Ronson…

Elle répond à mes salutations et hésite quant à la suite, je le devine. Je plonge mon regard dans le sien, à la recherche de je ne sais trop quoi. Sa présence ici me laisse depuis toujours intriguée. Elle semblait cacher quelque chose à notre famille. Je ne sais trop quoi, je ne sais d’ailleurs pas si je me fais des idées…Mais, son attitude totalement réservée ne laisse rien présager de bon, du moins c’est ce qui m’apparait évident…Peut-être suis-je loin de la réalité. Je me relève et remet de l’ordre dans mes habits, puis avise Lady Ronson :

- Chère Elena, vous voudriez peut-être faire quelques pas en ma compagnie?

Je sors de sous mon abris pour me retrouver à la hauteur de la jeune femme, puis réajuste mon châle.

La jeune femme accepte donc mon offre et joint son pas au mien en direction du manoir. Un silence gênant s'installe entre nous, nous ne nous connaissons pas énormément. Hormis quelques discussions à l'occasion des diners, nous n'avons pas pris le temps de parler de nous, et d’approfondir notre connaissance de l’autre. Le manoir des Handilton est très grand, et il est bien possible de ne croiser quelqu'un avant plusieurs jours si nous en faisons l'effort. Et je dois bien avouer que ma personne ne recherche pas systématiquement la compagnie. Je désire vivre mon deuil seule, bien qu'il en soit ainsi beaucoup plus difficile. Je suis ainsi, j'ai toujours refusé que l'on me tende la main, ou du moins de saisir cette main. Trait de mon caractère hérité de M. mon père. Je tourne la tête vers la dame à mes côtés, je ne savais pas comment elle s'était retrouvée à vivre chez les Handilton. Je sais uniquement qu'une excellente relation l'unissait aux membres de la famille de mon père, mais je ne savais pas où le tout prenait racine, et ce qui l'avait amené à s'installer au manoir.

- Vous me permettez de vous posez une question Lady Ronson?

Son silence et son hochement de tête m'apprenne que j'en ai le droit. Je fronce les sourcils, réfléchissant à la manière dont je peux formuler les choses sans paraître déplacée. Je replace nerveusement une mèche derrière mon oreille, puis opte pour un ton de voix polie avant de m'informer ;

- Qu'est-ce qui vous a amené à vous installez ici, au manoir...

Elle semble d'abord surprise par ma question. Il est vraie que la curiosité n’est pas un trait très appréciée chez les jeunes de la haute, surtout lorsqu'on est femme. Mais, j'ose croire qu'elle ne m'en tiendra pas rigueur. Elle n'est pas forcée de me répondre, ou bien elle peut me mentir, je n'en saurais rien. Je suis intriguée, je connais les femmes, pour en être une moi même, et je sais qu'un regard comme le siens camoufle bien des remords, quelques douloureuses expériences peut-être. Je peux bien sur me tromper, je ne m'avoue pas infaillible, mais me fi à mon instinct féminin, qui pendant toutes ses années de m'a jamais fait défaut. Nous parvenons à la hauteur d’un banc de marbre blanc, et Elena y prend place. Je reste un moment debout devant elle, mais elle semble attendre que je m’asseye à ses côtés avant de prendre la parole. Ainsi, elle allait me répondre…Je m’installe donc à ses côtés en mettant de l’ordre dans ma tenue, surprise pas son impassibilité. J’ai rarement rencontré une femme à ce point maitresse de ses émotions, des hommes plusieurs, mais des femmes aucune. Le tout lui mérite ma plus grande admiration, peu importe ce que j’ignore à son sujet, une telle prestance a quelque chose d’admirable.