Le manoir des Lefroy n'était pas très éloigné de la paroisse des Prices. Par temps ensoleillé, on pouvait d'ailleurs le voir émerger au delà des collines. Le temps d'aujourd'hui était très clément, et lorsque Lucy sorti de chez elle à la première heure du jour, elle l'aperçut au loin, se tenant fièrement au dessus de sa tête. La jeune fille se rappela alors qu'elle avait promis à William qu'elle allait rendre visite à sa soeur, Alice. Les deux jeunes filles ne s'étaient en effet pas vues depuis la mort de Mr Lefroy. Il y avait plusieurs raisons à cela. La première, étant que Lucy voulait laisser le temps à la jeune fille de faire son deuil, la seconde étant que nombreux inconnus venait visiter le manoir et que Lucy n'aurait pas forcément le sentiment d'être la bienvenue dans la demeure des aristocrates. Et pour finir, et c'était en vérité la véritable raison de sa venue, elle ne voulait pas croiser William. Elle comprenait que celui-ci ai prit ses distances à la mort de son père, mais cela faisait un moment maintenant, et rien n'avait changé, ou presque. Maintenant qu'elle avait eu le loisir de lui parler, elle pouvait aller rendre visite à sa soeur avec moins d'appréhension. Elle partit donc au manoir avec tout de même une boule dans le ventre.

Il était encore tôt lorsqu'elle arriva. Néanmoins, le manoir était réveillé. La jeune Price entra et attendit qu'une domestique vienne la voir pour lui demander ou était la jeune fille. Celle-ci la conduisit jusque dans le jardin où Alice était assise en train de lire un livre. Lucy remercia la domestique et regarda autour d'elle. Pas de signe de William. Elle s'approcha donc de la jeune fille, et prit place à coté d'elle. Ne voulant pas brusquer leurs retrouvailles, elle se contenta de dire

"Ma chère Alice, comment allez-vous en cette si belle matinée ?"

Il était près de dix heures quand la leçon de Français d'Alice fut terminée, et que sa gouvernante Lydia l'autorisa à aller "s'aérer l'esprit" une petite heure dans le jardin du Manoir, tout en lui ordonnant, bien entendu, d'emporter son livre de grammaire italienne avec elle pour en réalité ne pas "perdre son temps avec des futilités", avait-elle dit. Mais Alice s'était docilement pliée au désir de sa gouvernante et avait donc pris l'ouvrage avec elle, se refusant de faire un caprice, ce qui n'était de toute façon pas dans ses habitudes. La jeune fille avait de toute manière besoin d'un grand bol d'air frais, et le souvenir de la violente gifle que lui avait octroyée Lydia vingt minutes plutôt était trop frais pour qu'Alice n'obéisse pas.

La jeune Lefroy s'était donc isolée dans le jardin, où l'on avait aménagé un salon en plein air pour l'arrivée des beaux jours. Le temps était particulièrement agréable en cette matinée, et Alice adorait sentir les doux rayons du soleil lui réchauffer la peau. Elle avait ouvert son ouvrage de grammaire, en tournant machinalement les pages, mais n'était pas parvenue à se concentrer sur sa lecture. Bien vite, son esprit était parti vagabonder ailleurs, dans de lieux fictifs où elle se sentait plus libre, et Alice avait fermé les yeux.

Elle fut pourtant ramenée à la réalité par une domestique, qui vint lui annoncer la visite de son amie Miss Lucy Price. Alice réagit immédiatement, reprenant dans un réflexe idiot son ouvrage, comme pour ne pas montrer qu'elle avait failli à ses obligations, et pour ne surtout pas révéler qu'elle s'était évadée, même mentalement, l'espace d'un instant si précieux. Alice était ainsi : elle avait énormément de mal à se révéler aux autres, même lorsque ceux-ci lui étaient chers.

Quand Lucy s'assit à côté d'elle, Alice posa ce livre qu'elle n'avait de toute façon pas lu sur la petite table de jardin devant elle, et fit un aimable signe de tête à son amie pour la saluer.

- Well, I feel quite good, thank you Lucy. And you, are you enjoying your day ? What news from Meryton ? I must confess that it has been a while since I went to the village for the last time.
- Et bien, je me porte plutôt bien, merci Lucy. Et vous, profitez-vous de cette journée ? Quelles nouvelles apportez-vous de Meryton ? Je vois avouer que cela fait un certain temps que je suis allée au village pour la dernière fois.

Alice tentait tant bien que mal de maintenir les apparences, se refusant de dévoiler à qui que ce soit son lot quotidien d'infortunes, et elle y parvenait plutôt bien. Elle savait, dorénavant, que quiconque la regardait trop longtemps dans les yeux pouvait y lire toute sa détresse, et c'est pourquoi elle avait pris l'habitude de conserver un regard plus ou moins fuyant en permanence. Du moins, elle essayait. Pourtant, il restait facile de percevoir l'immense fragilité de la jeune fille, qui tenta un discret sourire dans la direction de son amie.

La domestique l'introduisit auprès de la jeune Lefroy. Lucy l'observait avant, et elle semblait perdue dans des pensées qui semblaient bien peu joyeuses. Le livre qu'elle avait sur les genoux ne semblait pas l'intéresser outre mesure. Lorsque Alice sut que Lucy était là, elle le repris et fit semblant de lire, comme pour se donner constance, puis le reposa, pour être à l'écoute de son amie. Lucy répondu par un sourire à son signe de tête et l'écouta parler.

"Comme vous le voyez, je profite de cette journée ensoleillée pour parcourir la petite distance qui me sépare de chez vous. La promenade fut par ailleurs très agréable"

répondit-elle à son ami. La vérité étant qu'elle aurait aimé ne pas avoir à faire le chemin seule, et que la présence des personnes très chères à son coeur aurait ajouté un plus à cette journée magnifique. Mais tout ceci était minime. Enfin..

"J'ai bien remarqué que Meryton ne vous comptait plus beaucoup parmi ses promenants. Mais je dois avouer que depuis que je n'y trouve plus vous et votre cher frère, je ne fréquente plus trop le village. Le beau temps y est aussi pour quelque chose."

Lucy avait abordé le sujet de William sans vraiment le vouloir. Elle aurait d'ailleurs préféré ne pas l'aborder, pour pouvoir savourer sereinement les retrouvailles avec son amie. Elle poursuivit donc, essayant de croiser le regard toujours un peu fuyant d'Alice. En fait, Lucy savait qu'Alice gardait quelque chose pour elle. Son regards triste et toujours vagabondant en était la preuve. Mais Lucy ne lui avait jamais demandé la cause de sa tristesse. Elle savait que si la jeune fille souhaitait lui en parler, elle le ferait. Elle se contentait donc de distraire sa jeune amie.

"Et bien, Alice, le bal d'Aprils fool est bientôt. Avez-vous déjà choisi votre robe et votre cavalier ? Si ce n'est pas le cas, nous pourrions peut-être faire notre grand retour au village pour aller trouver un habit ?"

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