Il était là, gros, énorme ! Il la fixait de ses yeux que la soif de vengeance rendait diaboliques. Elle le savait, l'heure était venue ! Cette fois, plus moyen de fuir, d'appeler à l'aide, elle allait devoir l'affronter, et perdre surement. Il ne put se retenir de se lécher les babines, l'idée de la voir morte le mettant surement déjà en appétit... Cette fois nul obstacle, nulle petite maison ou partir se réfugier, il était tout près d'elle, ne la quittant pas du regard. Elle eut tout juste le temps de cligner des yeux qu'elle sentit ses dents perforer sa chaire. Puis tout fut finit.

- AAAAAAAAAAAAAAH

Le hurlement, perçant, déchirant, retentit soudain dans la chambre de Crystal. Elle se mit à se débattre, criant comme une hystérique, luttant contre ses draps qui s'étaient vilement nouées autour de ses pieds et la retenait prisonnière. La sueur perlait sur son front, les images lui revenaient plus vives que jamais, elle croyait y être encore. Alors quelqu'un accourut, pour lui venir en aide. Ils étaient tous habitués mais certains autres clients de l'auberge continuaient de se plaindre alors comme chaque matin, on lui envoya une domestique pour "se soucier de son état"... Donc lui demander de la boucler mais en plus poli.

"Voilà, voilà mademoiselle. Calmez-vous, ce n'était encore qu'un cauchemar, ne vous agitez plus tout va bien..."

Crystal s'agita quelques instants de plus, pour la forme, puis finit par se calmer, comme le lui conseillait l'aimable demoiselle. Non en fait elle n'était pas aimable et elle la détestait mais c'était la seule à oser l'approcher durant ses crises hystériques -à son réveil comme tout à fait éveillée- alors elle ne pouvait non plus trop la détester. Ses jambes arrêtèrent de s'agiter et les cris cessèrent. Quelques secondes plus tard, il ne resta plus de marques de ce réveil en fanfare que des gouttes de sueur perlant sur son front et son souffle saccadé. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises, comme pour se sortir l'affreuse vision de la tête, mais n'y parvenant, tourna son visage terrifié vers la domestique. Elle lui saisit le bras, y plantant les ongles un peu plus que nécessaire et l'observa les yeux brillants de folie.

- C'était affreux ! Il... Il... Il était là ! Il me fixait ! Près à bondir à tout moment ! Et tout à coup... Tout à coup... Oh je n'ai rien pu faire pour me protéger ! Ma maison avait disparu, il n'y avait personne pour nous surveiller et... Et... Oh !

Elle fondit en sanglot, encore trop éprouvée par le choc de ces crocs se plantant dans son ventre qu'elle avait ressenti comme si elle avait réellement était Bubulle. Pauvre Bubulle ! Si cruellement dévoré par le chat ! Oh quelle fin tragique ! Elle ne s'en remettait pas. Aussi, c'est toute hébétée par ce pénible souvenir qu'elle se laissa habiller, sans même se soucier de la toilette qu'elle lui avait choisi, ni de sa toilette personnelle tout court. Elle était devenue une épave de toute façon, et sa récente paranoïa lui donnait l'impression que tout le monde en pensait de même, aussi ne voyait-elle absolument aucune utilité à s'en soucier encore. Fin prête, elle ne descendit pourtant pas. Elle s'assit sur son lit une heure, peut-être deux, grignota sans trop y penser le toast qu'on lui avait apporté, se coiffa, à peu près, et puis revint à la vie lorsqu'un rayon de soleil l'aveugla. Après avoir lancé son regard le plus haineux à un rideau qui n'avait pour seul tort que d'être un rideau ouvert, elle se leva dédaigneuse et sortit de sa chambre.

Elle descendit tranquillement les escaliers, bien peu soucieuse du peu d'élégance de sa démarche ni de la majorité des regards qui se tourna vers elle -ceux des clients réveillés trop tôt à leur goût certainement. Elle allait simplement s'asseoir à une table, et attendre. Il y avait plus de coin sombre où s'abriter de la lumière ici que dans sa chambre alors elle pouvait bien supporter quelques regards méprisants pour cela. D'autant plus que c'était loin d'être les premiers de sa vie et qu'elle commençait à s'y faire ! Seulement voilà, même ici elle ne pouvait pas rester assise à bouder en paix, car la porte d'entrée s'ouvrit. Outre le fait que le jour l'aveugla une fois de plus de par sa clarté, ce fut la chevelure blonde qu'elle aurait reconnu entre mille pour l'avoir si souvent enviée qui lui coupa le souffle.

Ni une, ni deux, elle plongea sous la table ! Qu'est-ce que Lydia pouvait faire ici ? Jamais elle n'aurait mis les pieds dans une auberge avant ! Elle le savait pour l'avoir entendu de sa bouche à Meryton lorsqu'elle lui avait raconté y loger. Ca se résumait en quelques mots à "trop sale, trop mal fréquenté". Ce n'était pas faux, mais c'était toujours mieux que vivre dans une ferme après tout alors Crystal n'avait pas vraiment le choix ! Seulement voilà, ce n'était pas tant la voir ici qui l'étonnait que le fait qu'elle soit... ici. Bon c'était ça, mais pas ça... C'était... Mais qu'est-ce qu'elle faisait ici ?! En voyant ses pieds se rapprocher d'elle, elle eut un sursaut qui n'eut pour seule conséquence que de renverser sa chaise que ses pieds venaient de cogner. Arrêt de souffle... Peut-être personne n'avait-il entendu l'immense fracas qu'elle venait de provoquer ? Ou alors peut-être qu'arrêter de respirer le permettrait ? Il ne lui en fallut pas plus, elle prit une grande inspiration, pria intérieurement, et se boucha le nez. Le rêve de Bubulle... C'était un signe elle aurait du s'en douter !

Ce matin-là, Lydia se leva tôt. Elle sonna une clochette qui eut pour effet immédiat celui de faire arriver un domestique. Elle vivait dans un joli appartement avec son frère William & grâce à l'argent de leurs parents, ils pouvaient vivre avec une certaine aisance qui leur permettait de se s'offrir les services d'une pauvre jeune fille qui servait à la fois de cuisinière, de femme de ménage et qui se devait de répondre aux divers caprices de Miss Shatterney. Lydia réprimanda celle-ci. Pas assez rapide. Ce matin elle avait à faire.

En effet, hier, en se promenant dans la chambre de son frère, elle était tombée, vraiment par hasard, sur une lettre qui se trouvait, par hasard sous une pile de chemise, dans une étagère très haute de l'armoire de William. Vraiment un pur hasard. Le même hasard avait conduit Lydia a décacheter délicatement la lettre, la lire, la refermer avec précaution puis la remettre en place. Quel Hasard! Lydia avait alors été choquée. Extrêmement choquée. Elle avait découvert toute une partie de l'histoire de son frère et elle n'appréciait pas du tout ce qu'elle avait lu. Adressée à Crystal, la lettre racontait leur histoire et dévoilait ce que Lydia ne savait point : son frère s'intéresse à la gente féminine.

Aussitôt, Lydia, qui, jusqu'à présent ne s'était pas souciée d'où pouvait bien être Crystal s'était renseignée pour savoir où elle logeait. Cruelle découverte, elle devrait se rendre dans une auberge. Ce lieu sale et mal fréquenté qu'elle abhorrait plus que tout... Mais rien ne lui faisait peur et il fallait qu'elle règle ses comptes.
Elle se mit donc en route et se trouva devant l'horrible logement. Elle respira un bon coup et passa la porte.
Tous ces gueux piaillaient, criaient, mangeaient, buvaient dans un fracas digne des plus horribles personnes vivant sur cette basse Terre. Elle jaugea l'assemblée et vit une jeune femme glisser sous une table au fond de la salle.
Lydia traversa la pièce à toute allure, se pinçant le nez tout en affichant un profond dégoût. Elle posta ses pieds devant la pauvre Crystal et commença à parler :

- Relevez vous, vous êtes tombée bien bas, mais je vais encore devoir attendre avant que vous soyez en mesure de me lécher les pieds.

Puis Lydia décida de se déboucher le nez, la voix de canard n'était pas du tout impressionnante.

- Affrontez moi ou périssez !

Non, elle n'avait pas trouvé mieux, d'ailleurs elle pensait que cette réplique était formidablement appropriée.

Trente secondes lui suffirent à découvrir qu'arrêter de respirer n'était vraiment, mais alors vraiment pas une solution ! Et des preuves, elle en avait deux bonnes ! La première, c'est que l'apnée n'était vraiment pas son truc et que cette demi-minute lui avait suffi à lui donner l'impression qu'elle risquait de mourir à tout moment par manque d'oxygène... Pas pratique donc, même si mourir lui paraîtrait en cet instant une douce alternative à l'affrontement de Miss Shatterney. La seconde et non pas la moindre était que, que ce soit à cause du boucan qu'elle avait fait avec la chaise ou son joli derrière qui dépassait toujours de sous la table, elle avait déjà été vue et que les deux -ô combien comme toujours sublimes !- chaussures de son "amie" pointaient vers elle comme pour l'accuser sans même qu'elle ne sache trop pour quoi.

Et puis... C'était vrai ça, pourquoi ce ton si haineux lorsqu'elle vint chercher à la déloger de sa cachette ? En plus de cette voix de canard d'ailleurs ! Bath n'avait vraiment réussi à personne, voilà que sa pauvre amie avait perdu tout de la grâce de sa charmante voix qui lui avait si souvent donnée des migraines à l'époque ! Quoi qu'il en soit, la curiosité lui donna enfin envie de se montrer, jusqu'à ce qu'elle ajouta quelque chose... Tiens ! Elle n'avait pas changé d'un pouce finalement ! Elle retrouvait là son amie de l'époque qui lui avait manqué et elle avait même miraculeusement récupérée sa voix un tantinet moins agaçante que celle à laquelle elle avait eu le droit un instant plus tôt. Tant mieux, elle n'aimait vraiment pas les canards ! Ils la fixaient toujours comme... comme... Comme des canards ! Affreux !

Il lui fallut tout de même dix bonnes secondes pour se décider à sortir de sous la table. Pas plus car connaissant Lydia, elle savait que la patience n'était pas son fort ! Formidable contraste avec son frère d'ailleurs ! Ah son frère... Elle se serait bien perdue dans le souvenir formidablement douloureux de la peine qu'il avait pu lui causer en ne reprenant jamais contact avec elle après son agression mais saluer son amie lui parut une meilleure idée. Et puis savoir de quelle manière elle choisirait de s'y prendre pour l'affronter était la distraction toute trouvée à la journée qui l'attendait !

Elle recula donc enfin pour se relever, appuyant malencontreusement sa main dégoutante sur une de ces chausses qu'elle jalousait déjà tant. Elle l'avait après tout menacée, et on ne menace jamais Crystal ! Non mais ! Toute sa petite vengeance et son sourire satisfait s'évanouirent malheureusement lorsque se redressant trop tôt, elle sentit le coin de la table s'écraser douloureusement sur son crâne. Ouch, pas de chance ! Bon, elle n'aurait au moins pas à subit de représailles, Lydia devait déjà bien assez rire d'elle pour juger qu'elle en méritât plus... Ou alors c'était bien mal la connaître !... Encore que son calvaire ne s'arrêta pas là. Enfin debout, la vision splendide de son amie lui rappela à quel point son état devait être misérable aujourd'hui. De ses cheveux gras à ses jupons salis, de ses bijoux inexistants à sa toilette largement démodée... Elle n'avait rien pour elle ! Cette humiliation suffirait n'est-ce pas ? Un peu de pitié tout de même ! Une petite courbette pour faire bien et on croise les doigts.

- Oh, Miss Shatterney, que le hasard fait bien les choses ! Vous ici ? Jamais je n'aurai cru avoir le plaisir ! Mais voyons, je nous croyais bonnes amies à Meryton, pourquoi donc Bath aurait-il changé cela ?

Bon, bonnes amies, c'était vite dit ! Elle était encore convaincue qu'elle s'était amusée à révéler toutes ces rumeurs abominablement génialissimes sur tout le village sans elle mais bon... A part cela, elle avait toujours été de la même trempe, alors pourquoi donc s'en vouloir ? Ce n'était pas comme si elle avait un temps tentée de charmer son frère bien aimé !... Ah si !