Reputation Famille: O'Loughlins Age du personnage: 24 ans Relations :
Sujet: Sleepy memories # Liam Mer 16 Fév - 0:36
« Elle courait devant moi dans les herbes hautes. J'avais un peu peur qu'on nous surprenne ensemble, et que cela nous attire des ennuis. Lui attire des ennuis, en fait. Moi, je ne craignais pas grand chose, à part un petit rappel à l'ordre de Papa. Elle, elle risquait beaucoup plus. Elle avait une fois de plus filé entre les jambes de sa gouvernante pour nous rejoindre, Danny et moi. Elle était arrivée à notre hauteur, alors qu'on se battait avec des épées imaginaires, et nous n'avions pas pu résister à son petit air malicieux et sauvage. Pas moi, en tout cas. Danny, lui, avait boudé un moment. "Ce n'est pas un truc de filles", qu'il avait dit. Moi, elle ne me dérangeait pas, mais j'avais surtout peur qu'elle puisse se faire mal. Le tout s'était fini en course à travers les champs immenses qui bordaient la propriété des Donovan. Nous étions le chat, elle la souris. Le rire mélodieux d'Emy résonnait dans ma tête et m'emplissait d'une joie inexplicable. On atteignait le sommet de la colline sur laquelle nous finissions toujours par arriver. Soudain, elle s'arrêta et fit volte face. Je m'immobilisai maladroitement à une vingtaine de centimètres d'elle. Emy finissait toujours pas faire ce genre de coups, alors que nous avions suffisamment de fougue pour courir encore des heures entières. Elle était la souris, j'étais le chat. Mais quand elle s'arrêtait, je ne la touchais jamais, et elle le savait parfaitement. J'étais rouge comme une pivoine, et elle riait aux éclats en se moquant gentiment de moi, en se plaignant parfois que je la laisse gagner. Danny arriva derrière moi en traînant des pieds -car il boudait toujours- et trouva très drôle de me pousser d'un coup dans le dos, pour que je n'aie pas d'autre choix que de tomber sur Emy. On dégringola la pente de la colline ensemble. Arrivés finalement en bas du grand talus vert, affalés dans l'herbe épaisse typiquement irlandaise, je tournai mon visage paniqué vers Emy. Quel idiot de frère ! Il aurait pu lui faire mal ! Et je n'osais même pas penser à la punition qu'elle aurait si elle revenait blessée. Je redoutais de voir des pleurs sur son visage. J'en avais même déjà une atroce boule au creux du ventre. Mais mon souci s'évapora en voyant qu'elle regardait elle aussi dans ma direction pour voir si tout le monde était sain et sauf. Nous éclatâmes d'un rire joyeux et complice. »
***
« Danny et Emy se disputaient à voix basse pour savoir qui avait le droit d'écouter par le trou de la serrure. Ils avaient déjà décrété que je serai celui qui devrait s'allonger par terre pour écouter par la brèche sous la porte. Je n'avais pas protesté, craignant que mon frère ait la fine idée de contraindre Emy à s'allonger par terre à ma place, ce qui n'aurait vraiment pas été... comment disent les adultes déjà ? Convenable. De l'autre côté de la porte, la mère d'Emily avait convoqué les domestiques pour leur annoncer une nouvelle importante. Emy pensait qu'elle voulait préparer le retour à la maison de son père. Après tout, il était parti depuis longtemps, non ? Il devait bien finir par revenir un jour à la maison ! Lorsqu'Emy nous avait confié son "secret" et nous avait indiqué de la suivre pour aller espionner, j'avais eu des doutes. Notre père, à Danny et moi, nous avait une fois parler de la Guerre. Il nous avait dit que les hommes importants devaient y aller pour défendre le pays. Et le père d'Emy était quelqu'un d'important, non ? On du faire trop de bruit, parce qu'avant même que nous ayons pu entendre quoique ce soit, on ouvrit la porte et on nous fit déguerpir de là, en ne manquant pas de nous botter les fesses. Pas celles d'Emy, bien entendu. Elle fut renvoyée dans sa chambre par sa gouvernante, et on ne la vit plus de la journée. »
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« Je rentrais à peine du grand champ d'orge qu'il y avait à côté de notre petite ferme de la campagne Merytonienne. J'avais de la poussière plein les vêtements, et j'étais fatigué. J'avais passé la journée à aider pour les récoltes, et c'était une tâche difficile. Mais je ne me plaignais pas ; à dix-sept ans on a suffisamment d'énergie pour ce genre de travaux. Il faisait très chaud, et je m'apprêtais à enlever ma chemise de coton épais, toute crasseuse, quand papa ouvrit la porte. Il n'était pas seul, et j'arrêtai mon geste. Les yeux rivés vers l'entrée de notre petite chaumière, j'avais l'impression d'être renvoyé des années en arrière, dans notre pays natal. Je l'ai reconnue immédiatement. Je l'aurais reconnue n'importe où, coiffée et habillée n'importe comment. Emy. Pendant des années, je m'étais demandé ce qui avait pu lui arriver, après que son père ne revint finalement pas de la guerre et que chaque domestique fut renvoyé de la maisonnée Donovan, mon père y compris. Nous étions partis pour l'Angleterre à ce moment-là, mais elle ? Que faisait-elle ici aujourd'hui, l'air si fragile -mais n'ayant pas perdu son regard vif pour autant- et vêtue de haillons ? Je ne savais pas quoi dire. Qu'étais-je censé lui dire ? Je me sentais heureux. J'étais profondément heureux de la retrouver, et je prix conscience d'à quel point elle avait pu me manquer. Elle, son rire, sa sauvagerie, tout ce qu'elle était. Je tentai de dire quelque chose, mais balbutiai maladroitement et devins rouge vif sans plus oser la regarder. Son rire réchauffa me réchauffa le coeur. »
***
« Beaucoup de choses ont changé. Je ne suis plus un petit garçon, ni même un adolescent trop timide. Je suppose qu'une part de moi est toujours la même, au fond. L'enfant que j'étais n'est pas mort, mes souvenirs sont toujours encrés en moi. Mais j'ai évolué. Beaucoup de choses ont changé. Lentement, j'ouvre les yeux. La lumière du jour, trop vive pour mes yeux encore endormis, me force à battre plusieurs fois des cils. Je sens le toucher des draps froissés sur ma peau nue. Il fait bon dans la pièce, et je suis bien ici. Qui bénéficie réellement du privilège de se réveiller heureux ? Le sourire aux lèvres ? Car je souris. Je vois son visage en face du mien et je souris. Ses cheveux bruns sont éparpillés sur l'oreiller derrière lequel elle tente de se dissimuler dans un regard plein de sous-entendus. - Bien dormi ? dis-je dans un murmure complice. Ses mains viennent enserrer mon cou, et son corps nu contre le mien, nous nous laissons une nouvelle fois plonger dans l'inépuisable torrent de nos envies.»
Liam ouvre d'un coup les yeux. La minuscule pièce est à peine éclairée, sa respiration agitée. Il doit être près de cinq heures, peut-être six. Le soleil se lève, et Liam, toujours allongé, passe une main sur son visage endormi. Il se redresse pour s'asseoir dans son lit, et laisse vagabonder ses pensées... Beaucoup de choses ont changé.
Il n'est pas plus troublé que ça par la nuit plutôt nostalgique qu'il vient de passer. Les nuits comme ça s'enchaînent sans arrêt, ne lui laissant pas de répit ou presque.
Les cheveux en bataille, l'air encore mal réveillé, Liam laissa errer son regard sur les murs sombres de la petite pièce pauvrement meublée. Il n'y a qu'une seule fenêtre, voilée par un rideau sombre. Il n'y a pas vraiment de décoration, c'est un luxe qu'il ne peut pas se permettre. Dans un coin de la petite chambre, un banc de bois sur lequel reposent quelques vêtements. Le costume qu'il doit porter pour travailler à l'occasion des bals et qui lui a été fourni par son employeur, un riche Aristocrate de la ville, pend quant à lui sur le dossier d'une des deux chaises de la pièce d'à côté. A côté du lit, il y a une table de nuit bancale. Le regard de Liam se pose sur le collier qui y repose. Ses yeux s'emplissent de tristesse, et il tend la main vers le collier -un lacet de cuir au bout duquel pend un rond de métal- qui appartenait à Frédérick. Mais ses doigts rencontrent à la place le poil hirsute de la tête de Balto, qui aura bientôt un an. Liam sourit vaguement en donnant une caresse au chien-loup, qui lui obéit au doigt et à l'oeil, même si son dressage fut semé d'obstacles. L'animal suit Liam presque partout, et quand il travaille, Balto reste à l'attendre à la sortie du Royal Crescent, caché on ne sait trop où pour ne pas attirer l'attention. Après lui avoir ordonné d'un simple hochement de tête de retourner se coucher, Liam s'empara du collier de son père et le mit autour de son cou. Frédérick n'avait pas supporté de devoir abandonner une nouvelle fois sa vie. Devoir quitter Meryton après avoir passé des années à s'y reconstruire, précisément le mois du 24ème anniversaire de la mort de sa femme, avait été trop dur à endurer pour le vieil homme. Il était mort le cinquième jour du voyage. La gorge de Liam se serrait en y repensant. Il avait perdu son dernier parent. Il avait du quitter son village à nouveau, comme tous les autres. Il n'avait jamais revu... Mais, comme pour le sortir de ses tristes pensées, une main se posa avec douceur sur son épaule, et il sentit qu'on se serrait contre son dos. Joan. Liam tourna le visage dans sa direction, eut un demi-sourire, ne parla pas. Joan l'observait, des ses yeux verts inquisiteurs, ceux qui signifiaient qu'elle avait quelque chose en tête. Elle détacha sa poitrine de Liam et resta assise sur le lit sans prendre la peine de dissimuler sa nudité. La cicatrice d'une grave brûlure lui marquait le bas du visage, le cou et une partie du sein droit. Liam se tourna pour lui faire face, et Joan n'attendit pas plus longtemps.
- Maintenant je sais. fit-elle, mystérieuse exprès. - Et que sais-tu ? fit Liam, amusé par les manières de son amie, qui jubilait visiblement des informations qu'elle détenait. Joan se mordit les lèvres, comme stressée à l'idée de tout lui révéler, puis céda à la tentation. - Son prénom. Emy. Elle s'appelle Emy, j'en suis certaine. Elle marqua une courte pause, comme pour sonder la réaction de Liam. Tu as passé la nuit à le répéter, fit-elle d'une voix moins assurée, car elle voyait le visage de Liam se fermer. Je sais que tu ne voulais pas que je le sache, je suis désolée ! Ajouta-t-elle précipitamment, coupable. Mais je... Tu aurais préféré que je fasse comme si de rien était ? - Ça n'a pas d'importance, Joan.
La silence s'installa. Liam avait le visage fermé, le regard dans le vide. Joan l'épiait, rongée par le remord et une insatiable curiosité. Liam, s'il lui avait beaucoup parlé de celle qu'il aimait, tout comme elle lui avait parlé de son bien-aimé, avait toujours refusé de lui révéler son prénom. Il le gardait comme un précieux secret, dont il était le seul à détenir la clé, qu'il était le seul à pouvoir murmurer. S'il lui affirmait le contraire, Joan sentait que cela avait énormément d'importance pour Liam.
- Tu as encore rêvé d'elle, n'est-ce pas ? tenta-t-elle doucement. - Et toi de Jake ? Fit Liam, sèchement.
Le regard de Joan se brouilla de larmes dans la seconde. Liam la regarda et se radoucit instantanément. Il entoura le corps frêle de Joan de ses bras, et posa un baiser sur son front.
- Je ne voulais pas. - Je sais... Tu es toujours comme ça quand on parle d'elle. - Je sais. Désolé... Joan, je suis désolé.
Jake était le mari de Joan. Mais leur nuit de noces n'avait pas été le conte de fées tant espéré. Elle fut même totalement tragique. Un terrible incendie avait pris dans leur maisonnette, et c'était ce soir-là que Joan avait hérité de ses blessures. Jake, lui, n'avait pas survécu. La jeune veuve, anéantie, avait erré dans les rues pendant des jours... Puis l'épidémie s'était déclaré, et il avait fallu fuir. C'était là qu'elle avait rencontré Liam, tout aussi déchiré qu'elle. Depuis, ils ne s'étaient plus quittés, avaient enchaînés les nuits interminables où se racontaient leurs vies, où ils tentaient de s'évader ensemble, juste pour quelque instants d'un plaisir partagé. Deux âmes perdues, seules, deux confidents, deux amis, mais pas de sentiments plus poussés entre eux. Tout avait toujours été très clair.
Liam finit par se lever, et enfila ses vêtements à la va-vite. Joan resta un moment au lit, les jambes recroquevillées contre son buste, à la regarder pensivement. Tout dans ses gestes laissait voir qu'il souffrait. Joan arrivait à le percevoir parce qu'elle connaissait Liam, très bien, qu'elle savait ce qu'il avait en tête. Elle savait le mal qu'il se faisait chaque jour, même s'il y avait encore des détails qu'il n'avait pas voulu lui raconter. Cette fille... Cette Emy... Il se tuait à la tâche pour elle. De jour en jour, Joan voyait Liam souffrir en pensant à elle.
- Elle a de la chance, fit Joan, pensive. Liam la dévisagea, se stoppant dans son action. D'être aimée à ce point par quelqu'un comme toi. Elle a de la chance. - Être aimée à la folie par un simple petit domestique incapable quand on peut avoir le monde et ses merveilles à ses pieds, tu parles d'une chance ! - Encore la même rengaine ! Mais regarde-toi, Liam ! Tu vois vraiment un incapable en toi ? Regarde ce que tu as accompli, regarde ce que tu as fait pour elle ! Tu l'as retrouvée ! Tu aurais pu baisser les bras et la laisser partir, mais tu as su la retrouver, ici, à Bath ! - Et à quoi bon ? A quoi bon, hein, Joan, tu peux me le dire ? Le ton montait. Regarde où j'en suis ! As-tu déjà vu quelqu'un de plus mal en point ? Quand bien même je l'aurais à nouveau en face de moi, comment crois-tu qu'elle réagira ? Qu'elle tombera dans mes bras et que nous vivrons heureux pour toujours ? Cela n'est pas possible, Joan ! Parce qu'elle appartient à "ce" monde, et moi à celui-ci ! fit-il en pointant d'abord la fenêtre, pour signifier l'extérieur et les beaux quartiers, puis le sol pour sa propre maison. Je ne suis pas assez bon pour la rendre heureuse !
Joan fulminait, elle se leva sur le lit, serrant ses petits poings. Elle était toujours très douce, mais dès qu'elle était contrariée, elle pouvait sortir très vite de ses gonds, et avait horreur de se sentir en position de faiblesse dans ces moments-là, d'où sa posture, en hauteur sur le lit, raide comme un piquet (et nue comme un ver).
- Eh bien deviens-le ! Bats-toi, sois un homme, nom de Dieu ! Tu l'aimes, Liam, tu ferais n'importe quoi pour elle ! Alors fais-le ! Deviens quelqu'un de meilleur, deviens le meilleur d'entre tous, détruis tous les autres même s'il le faut, mais récupère-la ! Joan s'emportait tellement qu'elle en devenait rouge, et halentante. C'est ce que je me tue à te dire depuis des mois ! Et regarde-toi aujourd'hui, tu es devenu quelqu'un de très bien, déjà ! Alors ne baisse pas les bras, pas si près du but ! - Joan... - Non, pas "Joan", il n'y a pas de "Joan" qui tienne ! Toi, tu as la chance de pouvoir être à nouveau avec celle que tu aimes ! Alors vas-y, bon sang ! Bats-toi et reprends-la ! - Joan... Continuait Liam en s'avançant vers elle, son regard dans le sien. Arrivé au bord du lit, il y monta à son tour et prit la jeune femme, devenue hystérique, dans ses bras puissants. Merci, murmura-t-il à son oreille. De me répéter tout ça sans te lasser. Merci. Qu'est-ce que je ferais sans toi, ma Joan ? - Tu croupirais au fond d'un caniveau, ironisa la jeune femme, d'une petite voix bougon et encore portée par l'émotion. Joan s'accrochait fragilement au tissu de la chemise de Liam. Il y eut un court silence. Liam... fit-elle ensuite d'une voix brisée.
Et Liam sut qu'elle se retenait de pleurer. Elle pensait à Jake. Lui pensait à Emy. Deux âmes perdues, seules. Deux âmes tristes, deux confidents, deux amis.
« J'émergeai lentement. J'ouvris les yeux. Mes cheveux roux étaient en bataille, me barrant la vue. D'un geste encore engourdi par le sommeil, je dégageai les mèches qui me gênaient. Liam dormait encore. Je n'avais pas besoin de le réveiller, il ne travaillait pas avant le soir venu. Il changeait systématiquement d'horaires, en fonction de ce que l'on demandait de lui, mais semblait plutôt bien s'y adapter. Comme s'il avait le choix, de toute manière. Les quelques babioles que je parvenais à vendre sur le marché chaque jour ne rapportaient pas suffisamment d'argent pour qu'il puisse se permettre de refuser un travail qu'on lui proposait, même si cela pouvait parfois dire enchaîner les journées sans repos.
Je me redressai dans le lit, mais ne me levai pas. En me penchant le plus discrètement possible vers le sol, j'attrapai sa chemise qui traînait là et l'enfilai. Elle était trois fois trop grande pour moi, si bien que je pouvais replier les jambes à l'intérieur, ce que je fis. Je tournai la tête vers lui, et le regardai dormir. Il semblait paisible. Je me demandai s'il rêvait ou non. Je me demandai si le semblant de sourire que ses lèvres semblaient afficher lui était destiné, ou si c'était juste mon imagination. Même en dormant, il ne semblait jamais parfaitement heureux. Ses sourires étaient toujours teintés de souffrance. Comme s'il portait un immense fardeau, dont il était le seul à connaître les mystères. J'avais toujours ce sentiment en l'observant. Il s'accusait de choses invisibles et secrètes, que lui seul connaissait. Chaque jour, il luttait contre sa peine, il luttait pour ne pas se laisser sombrer, et ce n'était pas facile. Il avait fallu se réadapter à une nouvelle vie, dans une nouvelle ville. Il avait fallu faire le deuil de son père. Surmonter l'absence de celle qu'il aimait. Je comprenais qu'il souffre. Je comprenais qu'il rentre parfois fatigué, éreinté, qu'il se force à retenir ses pleurs.
Mais je ne comprenais pas tout dans son comportement. La différence de rang entre elle et lui ne pouvait pas suffire à expliquer son désarroi. Bien sûr, c'était déjà immense, bien sûr, cela en avait arrêté plus d'un, bien sûr cela rendait souvent -presque systématiquement- les choses impossibles entre deux êtres. Mais de là à ce qu'il se sente si inférieur à elle ? De là à ce qu'il se dénigre en permanence lorsque l'on parlait d'elle ? Il la plaçait sur un tel piédestal que c'en était déconcertant. Cette fille était-elle donc si particulière, si unique ? Je savais qu'elle n'avait pas eu une vie évidente. Qu'elle avait été séparée d'une partie de sa famille et avait quitté l'Irlande un peu précipitamment, qu'il avait ensuite fallu s'en sortir en tant que domestique avec sa mère, qu'elle avait fini par perdre à son tour. Cela n'avait pas du être facile. Mais Frédérick l'avait miraculeusement retrouvée, et dès lors elle avait vécu avec les O'Loughlin. Rien ne justifiait que Liam agisse d'une telle manière, son amour pour elle fut-il infini. Il se comportait comme s'il était coupable de quelque chose. D'une chose qui justifierait tous les sacrifices pour elle. Qu'avait-elle donc de si spécial ? Je savais qu'elle était belle, il me l'avait dit. Je savais qu'elle était intelligente, et drôle, et je savais qu'en dépit des années passées en dehors de "son" monde, elle avait gardé toute sa grâce. Lorsque Liam me parlait d'elle, il était difficile de ne pas se l'imaginer, de ne pas tomber sous le charme à son tour. Il était si convaincant, si profondément amoureux d'elle qu'il finissait souvent par m'en arracher quelques larmes. Mais n'avait-il pas des qualités, lui aussi ? Il n'était pas idiot, même s'il ne disposait surement pas de la même éducation qu'elle. Il était beau lui aussi, il était fort et débrouillard. Il me supportait et m'aidait comme personne. Il savait m'apporter tout le réconfort dont j'avais besoin, il m'aidait à oublier mes malheurs. Il se plaignait rarement des siens. Il était quelqu'un de bon. Mais pas suffisamment pour elle, d'après lui. Il ne faisait jamais assez bien, il ne se jugeait pas capable de la rendre parfaitement heureuse. Il se battait chaque jour pour s'améliorer, dans l'espoir de la retrouver un jour. J'étais là pour le soutenir lorsque je sentais qu'il n'avait plus son moral de battant. Il avait la chance de pouvoir être avec celle qu'il aimait, lui. Moi, je n'avais plus aucun moyen de retrouver Jake. Si cela avait été le cas, j'aurais remué ciel et terre pour être de nouveau avec lui, car c'est ce que l'on fait par Amour.
Au fil des mois, j'avais vu Liam passer du stade du jeune homme brisé à celui d'homme déterminé, et pourtant, il ne l'avait toujours pas revue. Et j'espérais sincèrement que, le jour où ils se retrouveraient, leur histoire pourrait enfin se dérouler joyeusement. Car il faudrait encore qu'elle le choisisse à son tour. Qu'elle abandonne le monde auquel elle appartenait officiellement et les facilités qui allaient avec, pour vivre avec Liam. Si elle l'aimait, d'un amour aussi puissant que le sien, ce serait sans doute ce qui arriverait. Du moins, c'était tout ce que je lui souhaitais. Il m'arrivait d'avoir peur pour lui. De craindre sincèrement que, les mois aidant, elle ne soit plus celle dont il était fou amoureux.
Liam bougea un peu dans son sommeil. La lumière perçante du jour devait le déranger, car il enfouit son visage dans l'oreiller en bougonnant vaguement. Je souris un peu en continuant de l'observer. Etait-il donc si aveuglé par son amour pour elle pour croire si profondément qu'il ne la méritait pas ? Pour se sentir si coupable ? Non, Liam restait toujours quelqu'un de très rationnel malgré tout. Je savais qu'il devait la juger à sa juste valeur. Mais alors, qu'est-ce qui justifiait un tel malêtre ? Leur séparation ne pouvait pas tout expliquer. Il n'était pas que triste, il ne souffrait pas juste. Il s'accusait de quelque chose, et je ne comprenais pas quoi. Il y avait forcément quelque chose à propos de cette fille, à propos d'Emy... Une chose qu'il ne m'avait pas dite. Liam la protégeait beaucoup, même à distance. Cette chose, elle devait être encore plus importante pour lui que de ne pas me révéler son prénom. Cette chose, c'est ce qui devait faire que Liam se sentait si coupable de "ne pas avoir pu être à la hauteur". Cette chose à propos d'Emy, c'était son fardeau, c'était ce qui le rongeait chaque jour. Il donnait parfois l'impression de s'en vouloir, comme s'il portait en lui la Terre entière. Il l'aimait. Il donnerait tout pour elle. Beaucoup plus que ce que je serais en réalité prête à donner pour retrouver Jake. Car j'avais beau l'aimer aussi, je n'avais pas le courage de Liam. Voilà pourquoi je pensais, du plus profond de mon coeur, qu'elle avait beaucoup de chance. Elle était, pour moi, la femme la plus aimée au monde. »