Tu as laissé derrière toi ces jours où l'espace d'un instant tu as été un prince. Où pendant quelques danses tu as eu la princesse de tes rêves entre tes bras. Tu as rangé soigneusement le costume et le masque que tu avais acheté spécialement pour l'occasion. Tu avais économisé le peu d'argent qui était le tien, tu t'étais toujours dit "au cas où". Mais quand tu avais appris pour ce bal, quand tu avais su pour cette nouvelle, tu avais perdu tout rationalisme qui était le tien et tu as simplement acheté un costume qui aujourd'hui resterait enfermé dans le coffre au pied de ton lit, fermé à double tour, comme les souvenirs de cette soirée qui ne se reproduirait peut-être jamais.

Aujourd'hui ? Aujourd'hui tu as retrouvé ta place dans les écuries, d'ailleurs tu es dans le champs voisin à la maison à t'occuper du bétail. Il n'y a plus rien de noble dans ta tenue. Ton pantalon est emplit de poussière et ta chemise, marquée par la sueur laisse deviner combien ton labeur est difficile et éprouvant. Tu ne renies pas ta tâche, bien au contraire tu y mets tout ton entrain, comme si soudainement tu cherchais un exutoire. Le mouvement est toujours le même. Tu plante ta fourche dans la pays et tu la soulèves pour l'entrainer au pied du bétail. Parfois ton regard se lève sur le ciel qui lentement s'assombrit. Tu as même déjà mis à l'abri les bêtes les plus fragiles. Tu sais que vous ne pouvez rien perdre, que votre survie dépend de ses terres et tu fais tout pour que tout ailles au mieux. Aider... Tu ne penses qu'à sa malgré la fatigue qui s'accumule lentement.

Parfois tu repenses à ce que tu as vécu ce soir là, tu repenses à sa taille que tu devinais sous le tissu. Tu revois sa main dans la tienne et vos pas qui se sont enchainés avec grâce. Tu gardes ce souvenir précieux dans ta mémoire mais tu n'en parles pas... A qui le dirais tu ? Pourquoi le dire ? Et tandis que tu continues ton labeur, tu entends des pas.. Ceux d'un cheval d'abord, et finalement une voix. Sa voix. Ton cœur s'emballe, rate un battement lorsque tu reconnais ses traits. Et lorsqu'elle prononce ton nom, tu te figes et t'inclines avec politesse, tes yeux bleus se sont clos tandis que ta voix suave, douce, et légèrement rauque souffle.


Que faire ou que dire de plus ? Vu ton état, ta tenue, tu n'oses pas faire davantage et pourtant comme tu aimerais de nouveau pouvoir la blottir contre toi et danser. Comme tu aimerais... Mais calme ton esprit, de tout cela tu ne peux rien faire. Tu es juste un simple homme entrain de travailler, elle ne doit rien savoir... Garder le silence, cela tu sais le faire.

Tu la regardes avancer, craignant même qu'elle ne chute dans la poussière, et pourtant tu restes immobile. Ton cœur battant si fort en ta poitrine que cela te paralyse avec l'impression qu'au premier de tes gestes il risque d'imploser. Ses pas sont réalisés avec précaution, toi tu réfléchis à ce que tu vas lui dire sans en être très sûr. Les mots se bousculent et tu crains qu'elle n'aie découvert la vérité. Au fond ce rôle de chevalier mystérieux et bienveillant te plaisait davantage que ton rôle de gardien de bêtes. Tu as aimé ces instants et les voir ainsi ressurgir dans ta mémoire te fond hésiter entre les regretter et l'envie de les revivre encore.
Tu pris le temps de l'observer, de voir sa réaction suite à ce salut courtois et dans les règles de la bienséance. Elle restait égale à elle même telle qu'elle avait toujours été, telle que tu l'imaginais le soir, et finalement telle qu'elle avait été lorsque tu avais dansé avec elle. Pourtant tu sembles déceler dans son regard, dans ses mimiques quelque chose qu'au fond tu sais interpréter sans mal.

Elle sait, quelque chose au fond de toi te le dis, te le murmure. Pourtant tu n'as pas honte, mais c'est comme si tu la lisais dans ce mouvement de lèvres, dans cette gêne qui émane d'elle. C'est au fond comme si tu devinais les pensées qui la traverse à cet instant. Tu imagines aussi sûrement bien plus aussi. Sûrement regrette t-elle, et c'est pour cette raison qu'elle est là: te demander de garder le silence, pour son honneur, d'oublier pour que tu puisses garder ta raison... Fou ? D'amour ô oui tu as compris que tu l'étais pour elle, tu n'as de cesse de penser à elle.

Et puis elle demande à partir. Elle fuit simplement, tu as pendant un moment l'idée de la laisser partir. Mais au final tu oses avancer et en douceur te saisi de son poignet. Il n'y a aucun brutalité dans ce mouvement, au contraire tu sembles chercher à maîtriser ta force. Force de travailleur, mais tu te refuses à la blesser. Et c'est avec la même douceur que tu souffles :


Il n'y a plus qu'à espérer qu'elle osera parler, tu as cette lueur au fond du cœur qui raisonne et se devine dans tes yeux clairs. Tant de mots se bouscule et tu sais parfaitement que tu ne peux pas en dire le tiers. La politesse, et la bienséance te l'empêchant. Pourtant tu continues de croire qu'un jour tu pourras le lui dire... Dire ces mots qui à cette seconde te brûlent les lèvres...

Tu restes le cœur battant ton regard bleu posé sur elle. Tu crois comprendre la raison de sa venue, et chaque geste qu'elle fait ne peut que te conforter dans ce moment, dans cette croyance. Tu as libéré sa main en douceur, tu ne veux pas qu'elle te vois comme l'un de ces bourreaux, comme l'un de ces hommes qui soumettent par la force. Mais tu ne sais pas si tu dois regretter cet instant lorsqu'elle esquisse ce mouvement comme si elle te rejetait. Tu crois qu'elle te fuit et qu'elle va partir mais il n'en ait rien. Bien au contraire. Tu retiens ta respiration lorsque tu vois ses mains glisser sur ta peau. Tu fermes les yeux, tu crois que cela arrangera ton sort. Mais malheureusement pour toi, c'est justement lorsque le masque est tracé sur ton visage que tu ouvres les yeux tel un réponse à une question muette. "Oui c'est bien moi" voilà ce que trahissent tes deux yeux bleus. Tu n'ose pas bouger, souffle simplement un :


Tu essayes de cacher ce secret qui n'en est plus un. Et tu retiens ta surprise lorsqu'elle se saisi ainsi de ta main pour la poser sur sa taille. Tu as l'impression de ne pas avoir le droit de la toucher, elle rêve de ton esprit, et toi simple fermier qui souille ainsi sa beauté. Sa demande te surprend aussi, toi danser ainsi alors que le ciel gronde, s'assombrit, certains auraient appelé ça un mauvais présage, toi tu ne te soucies pas de tout cela. Tu ne vois qu'à cette seconde ta main qui de nouveau éprouve la sensation de ses courbes.Tu en éprouves presque des picotements au creux de ta main, comme un rappel. Tu te forces à ne pas lui avouer presque à genou que tu es bien cet homme, tu veux qu'elle comprenne mais tu craint qu'elle ne te repousse à jamais. Alors de nouveau tu répond, de cette voix courtoise et suave.


Tu essuie cette main posée sur sa hanche, en la frottant sur un morceau de tissu qui était dans ta poche et la repose donc, et une fois t'être assuré qu'il ne lui arriverait rien, qu'elle ne chuterait pas tu entame un pas de danse avec Ambre... Ambre comme tu avais rêvé de cet instant avec elle... Comme tu crains la suite.