Il est plus que difficile de garder un secret. Pourtant, de nombreuses personnes en sont capables, tout du moins c’est ce que nous croyions. Car en réalité, même les êtres les plus dignes de confiance nous font toujours, un jour ou l’autre, défaut. Cependant, le plus risqué est lorsque le secret n’est pas un véritable mystère, mais plutôt un quiproquo.. Imaginez, une amitié basée sur la confidence, jusqu’au jour où chacune se rend compte du comique de la situation; toutes ces révélations faites durant et durant n’étaient que le fruit d’un « triangle amoureux » ?..

C’était un jour radieux et merveilleux. Il n’y avait pas meilleure journée pour aller se promener. Lady Grant avait même sortie en ce jour l’ombrelle pour ne pas être gênée par le soleil. La demoiselle en était pourtant friande, mais aujourd’hui était un jour particulier, car aujourd’hui était le jour où Daphnée retrouvait son amie Mary Springburys. Toutes deux aimaient s’échanger leurs petites histoires, leurs problèmes et leurs coups de cœur. La jeune Grant avait donc en ce début de matinée enfilée une longue robe grise claire de saison et avait attachée ses cheveux bruns en une queue de cheval propre et civilisée. Ce fût à pied qu’elle se dirigea vers Randalls Park, un livre à la main, où après une vingtaine de minutes de marche, la jeune Grant se posa sur un banc. La belle Springburys n’était apparemment pas encore arrivée mais cela ne dérangea pas Daphnée qui ainsi, posa son livre sur ses genoux et débuta sa lecture. Elle semblait si paisible et fraîche ainsi posée, que seul l’histoire dans laquelle elle se trouvait actuellement pouvait avoir l’honneur de sa personne. Mais Mary arriverait bientôt, et elles se promèneront surement tout en échangeant leur délits les plus fous.

L’on ne pouvait rêver meilleur journée pour sortir se promener. Assise sur son banc de pierre blanche, Daphnée avait les jambes serrées, tenait son ombrelle dans sa main gauche tendis que l’autre fixait son livre délicatement posé sur ses genoux. Ainsi, la Lady était profondément plongée dans sa lecture. Il y avait foule en ce jour, de nombreuses dames se baladaient tout en cancanant, d’autre sortait avec leurs enfants, ou encore était venues boire le thé en terrasse afin de profiter de ces chaleurs des plus plaisantes. Tournant sa page, la demoiselle entendit alors au loin qu’on l’appelait. Relevant élégamment la tête elle sourit à son amie qui venait d’arriver. Elle était vêtu d’une superbe robe mousseline jaune qui lui allait à ravir, comme toujours. Certes, Lady Springbury était en retard, mais Daphnée n’y prêta aucune attention. De plus, la jeune femme était à l’ordinaire prodigieusement ponctuelle. Refermant gracieusement son livre qu’elle laissa posé sur ses genoux, Daphnée ne cessa de sourire à son amie.


- Ne vous inquiétez donc pas de cela ! Ma chère Mary, il fait si bon en cette journée que tout ne peut aller que pour le mieux ! J’espère que cette fâcheuse histoire n’a point fâché votre moral ?


L’invitant subtilement à s’assoir à ses côté, Daphnée la regarda attentivement. Elle semblait toujours revenir d’une chasse et malgré tout était ravissante. Posant avec grâce ses mains sur ses genoux, au dessus de son ouvrage, la jeune femme replia son ombrelle pour la poser à ses pieds. Le soleil réchauffait tous ses membres, et en dépit de porter une robe légère et naturelle, la demoiselle avait chaud. L’on pouvait entendre les enfants jouer, l’eau des fontaines pleurer et des femmes bavarder.


- Vous sembler rayonner plus qu’à l’ordinaire mon amie, me trompe-je ?

"Point du tout, malheureusement, ce sont là des affaires qui me sont confiées un peu trop souvent à mon goût, mais je n'éprouve plus ni chagrin ni colère à les régler... L'habitude sans doute..."

Elle s'assit aux côtés de sa gracieuse amie, et lui sourit pour montrer que tout allait très bien. Si elles ne s'étaient pas aussi peu ressembler, on aurait pu les prendre pour deux sœurs, tant leurs sourires témoignaient d'une réelle complicité, et qu'elles resplendissaient de même manière en beauté et en élégance. Elle leva les sourcils et rougit légèrement en entendant la remarque de sa chère amie, et elle ne put s'empêcher de baisser les yeux, malgré la franchise dont elle comptait faire preuve, comme toujours lorsqu'il s'agissait de s'entretenir avec Daphnée.

"Je ne pensais pas que cela se verrait autant sur mon visage, mais, ma chère Daphnée, si j'osais..."

Elle leva doucement son regard clair sur celui, foncé de Lady Grant et rougit encore un peu, bien qu'elle sut fort bien que Daphnée ne serait jamais pour elle une juge sévère. Et que bien sûr, elle oserait lui confier tous les tourments de son coeur, pour peu qu'elle vit un quelconque encouragement. Ce qu'elle crut voir sur le visage de son amie. Aussi, reprit elle d'un ton doux et timide, pressant la main de Daphnée dans les siennes :

"A vrai dire, ma très chère Daphnée, j'ai un merveilleux secret à vous confier... Que je ne peux confier qu'à vous, car je sais que votre coeur me comprendra mieux que tout autre..."

Elle laissa sa phrase en suspens, pendue aux lèvres de Daphnée, attendant une réponse, un hochement de tête ou un haussement de sourcils qui lui enjoignit de se confier plus encore, tandis qu'au loin résonnait le rire des enfants et que le vent faisait bruisser leurs robes...

Elle resplendissait, telle une enfant à qui l'on avait donné la permission de manger un carreau de chocolat tout en jouant dans les écuries. Mary ne cessait de sourire et de rougir; elle était adorable avec ses allures de poupée, ses manières de jeune femme et de gamine à la fois. Daphnée quand à elle avait les traits plus sévère et une ignorance qui ne résidait en elle que rarement, voir jamais. Ses mains étaient dans celles de son amie qui les pressaient comme si elle la suppliait de faire quelque chose, de dire quelque chose. La jeune Lady Grant avait posé sur Mary toute son attention et lorsque cette dernière laissa en suspend sa dernière phrase, Daphnée cligna deux fois des yeux et l'air sérieuse et intéressée s'exclama :


- Osez chère amie, osez !


Des enfants jouaient non loin d'elles, le vent soufflait quelque peu, suffisamment pour s'engouffrer dans leur robe et apaiser la chaleur mais pas trop afin qu'elles n'aient pas froid. Laissant ses propres mains dans celles de Mary, Daphnée plongea son regard ténébreux dans celui, azure, de son amie. Elles étaient tellement différentes et pourtant se comprenaient si bien... En arrivant à Meryton, la jeune Springbury avait été la seule à tout de suite bien accepter la dernière des Grant, comme si un coup de foudre amical était passé entre elles.

Mary hésita encore, partageant un long regard avec Daphnée, puis un large sourire s'épanouit sur ses lèvres roses, et elle ne put s'empêcher d'émettre un rire délicieusement cristallin et de presser les mains de son amie. Elle avala sa salive, et essaya de choisir précisément ses mots, tandis que ses pommettes rougissaient visiblement.

"Mon bonheur, ma chère Daphnée, ne doit être mis que sur le compte d'un merveilleux sentiment, auquel mon coeur n'a jamais été accoutumé mais auquel il s'est facilement habitué... Vous l'aurez compris, j'en suis certaine, l'objet du tourment de mon âme, des vagues de mon coeur..."

Elle hésita encore, non parce qu'elle n'avait pas confiance en Daphnée, mais simplement parce qu'elle avait peur de mettre des mots sur la réalité qu'elle cherchait à exprimer. Elle chercha de l'encouragement dans le regard merveilleusement sombre de son amie, avant de prendre une longue inspiration, tandis que des enfants criaient au loin et se faisaient réprimander par leur nourrice.

"Je suis a-amoureuse, Daphnée..."

Elle leva des yeux embué de larmes de surprise et de bonheur. Il y avait quelque chose de merveilleux à affirmer cela à une des personnes les plus chères à son coeur. Elle contempla le visage de Daphnée, espérant y voir le reflet de son propre bonheur, la pressant de questions :

"Est-ce mal ? inconvenant ? pensez-vous que je doive y renoncer ?"

Il faisait une chaleur insoutenable, l'air pesait sur les épaules de la jeune Lady et si la bienséance n'était pas si importante à ses yeux, elle aurait très certainement osé monter sa robe jusqu'à ses chevilles. Les deux amies étaient assise l'une à côté de l'autre, mais s'était tournée légèrement de tel sorte à se trouver en face. Le banc de pierre sur lequel elles s'étaient installées était situé juste à côté de la fontaine qui crachait de temps à autre un peu trop de pression et qui venait les éclabousser de quelques gouttes d'eau. Daphnée avait plongé ses yeux dans ceux de Mary, toutes deux pétillaient ! La petite brune était si heureuse de voir son amie rire ainsi, sourire de cette manière, de la voir autant épanouit. Son esprit vagabonda quelques instant, repensant à sa balade dans les sentiers de Meryton avec Henry... Qu'il était beau, gracieux, charmant... Mary pressa un peu plus les mains de son amie ce qui la fit revenir à la réalité, celle-ci lui avouant aimer. Aimer. Quel vaste mot et sentiment que l'amour. Daphnée ne voulait rien avoir à faire avec celui là, une femme seule vaut bien mieux qu'une femme dépendante d'un mari. Au début de sa jeunesse, elle avait refusé le mariage arrangé, ce qui l'avait conduite en pension en France, mais à présent elle s'était rendu compte que l'amour était quelque chose de relatif et d'éphémère. Elle voulait y croire, mais ne pouvait pas.


- Mary mon amie, c'est...


Daphnée hésita quelques instants, elle semblait si heureuse... Elle ne pouvait lui gâcher cela et peut-être que l'amour ne lui était pas fait, mais il allait si bien à la jeune Springbury. Affichant un large sourire de bonheur sur ses lèvres, la jeune femme s'exclama avec enthousiasme :


- C'est merveilleux ! Vous devez connaître ceci ma très chère amie « Amour, donne moi ta force, et cette force me sauvera. » William Shakespeare. N'est-ce pas fabuleux ? Considérez ces instants d'allégresse avec ivresse, l'amour ne frappe pas toujours deux fois à notre porte.


Elle lui souris franchement, laissant parler son cœur et essayant d'y voir plus clair dans le sien également. Cet homme qui semblait lui avoir dérobé le cœur était un notable de bonne famille, ayant mauvaise réputation certe, mais Daphnée aimait à penser qu'elle pourrait être la femme qui le sauverait de tant de faiblesses.. Qu'elle insouciante est elle...

Etrangement, le sourire de Mary vacilla. Loin de la rassurer ou de l'enchanter, les paroles de son amie l'inquiétèrent. L'amour ne frappait pas deux fois, hein... Oh, elle ne doutait pas d'Henry mais elle doutait profondément d'elle-même. Supposons une seconde que Mary devienne fade ou laide avec l'âge, que Henry se rende compte de la platitude de son caractère, Mary finirait sans doute seule. Autrefois, cette perspective la réjouissait, à présent qu'elle était aimée et qu'elle aimait, il devenait bien plus dur de renoncer à trouver le bonheur conjugal. Elle leva des yeux inquiets et désemparée et Daphnée et lui demanda d'une voix légèrement fiévreuse :


"Daphnée, voudriez-vous dire que... Voudriez vous dire que ces instants seront éphémères ? Oh, après tout vous avez raison, l'amour peut cesser, sans aucun doute... Enfin, je ne sais pas, peut-être... Il me semble pourtant que le mien ne pourrait pas s'éteindre... Mais ma chère Daphnée, votre discours donne l'impression que vous connaissez de l'amour un peu plus que vous ne le dites... Oh ! Non, pardonnez moi ma chère, je ne voudrais pour rien au monde être indiscrète, oubliez mon impudence, je vous en prie..."


Tout à coup, un des enfants qui jouaient près de la fontaine plongea son bras dedans et provoqua le jaillissement d'un geyser en direction des jeunes femmes, qui se retrouvèrent inondées. Mary, surprise se leva brutalement, avant de commencer à rire. Cela avec quelque chose de cocasse de voir ces deux élégantes à la tenue ruinée. L'enfant se faisait copieusement gronder par sa nourrice qui se précipita ensuite vers elle pour excuser son manque de vigilance.

Visiblement la jeune Lady avait semé le doute en son amie. En effet, cette dernière changea radicalement de regard qui devint plus craintif, son sourire disparu également et juste au son de sa voix Daphnée pouvait remarquer oh combien Mary semblait désemparée. Et c'était de loin ce qu'elle désirait. Daphnée avait essayé de prendre des gants pour exprimer ses pensées sans troubler son interlocutrice, mais manifestement cela avait été en vain. Mary lui expliqua ne pas penser que son amour pouvait s'éteindre et remarqua que la jeune Grant paraissait en savoir plus qu'elle n'en disait. A cette remarque, la demoiselle baissa les yeux et souris honteusement. Puis, souriant pleinement, le regard pétillant elle s'exclama :


- Oh Mary si vous saviez comme j'ai honte à mon tour.. Il y a..cet homme qui m'a charmé en bien des aspects mais je n'ose aimer voyez-vous... Mes principes me l'interdise, c'est pourquoi, je ne voulais vous effrayer mon amie, mais l'amour est un mot bien relatif auquel sont apprêté bien des sens... Et je n'en n'ai encore point découvert le véritable.


Le véritable quoi ? Amour ? Sens de l'amour ? Que de confusion en un même esprit... A ces mots, un enfant vint s'amuser près de la fontaine les aspergeant d'eau. Daphnée cria de surprise et resta figée sur son banc de pierre tandis que son amie s'était levée avec précipitation et riait à présent. Son rire était cristallin et donnait envie de rire et d'être heureux à son tour, c'est ainsi qu'elles se mirent à rire toute deux alors que l'enfant se faisait gronder par sa gouvernante.

Mary contempla, toujours le rire au bord des lèvres, le désastre de sa tenue. Heureux hasard, le soleil se mit à taper un peu plus fort sur les jeunes femmes. Aussi Mary glissa-t-elle son bras sous celui de Daphnée, et l'entraîna faire un tour dans le parc :


"Mieux vaut se promener pour sécher au plus vite ! Je n'aimerais pas que cet accident pour le moins hilarant nous rende affreusement malade ! Marchons voulez vous ?"


La question n'en était pas vraiment une, et Mary n'accorda pas une importance capitale à ce que Daphnée pouvait lui répondre. Elle réfléchissait à ce que son amie avait dit. Ainsi, il n'était pas dans ses principes d'aimer ? La jeune Lady trouvait que Daphnée avait une maîtrise d'elle-même incroyable puisqu'elle était capable de se contraindre à ne pas aimer, et cela désarçonnait et impressionnait Mary à la fois. Elle n'était pas sûre à cent pour cent que cela soit la bonne attitude à adopter. Après tout, l'amour était un sentiment naturel, et contraindre sa nature n'est jamais une très bonne chose... Elle hésitait à conseiller son amie et à lui parler à coeur ouvert, aussi décida-t-elle d'y aller doucement :


"Vous savez Daphnée, je ne suis pas vraiment experte en la matière, mais je sais simplement que je n'ai jamais été aussi heureuse depuis que je me suis rendue compte de mes sentiments, bien sûr je n'ai jamais été aussi inquiète, aussi torturée, mais j'ai l'impression que ce bonheur que je ressens est plus fort que toutes les peines qu'il provoque. j'imagine sans peine à quel point je pourrais être malheureuse si l'amour devait cesser, où si je n'étais plus aimée, mais tout ce que je vis est à la hauteur de n'importe quelle douleur... Je ne veux pas vous influencer, ma chère, mais croyez vous pas qu'aimer celui qui vous charme en vaut la peine ?"

Toujours assise sur le banc, complètement mouillée, Daphnée ne s’arrêtait de rire, emportée par son amie. Par chance, le soleil devint plus fort et ainsi Mary attrapa la jeune Grant sous le bras et lui conseilla de marcher pour sécher plus rapidement. Attrapant son ombrelle refermée ainsi que son roman ne pouvant plus être lu, les demoiselles marchèrent d’un pas lent et régulier profitant du soleil tapant dans leur dos. A la proposition de Mary pour marcher, la jeune Lady répondit tout en souriant :


- Avec plaisir !


Continuant de marcher paisiblement, les deux jeunes femmes étaient plongée dans un silence profond. Mary à réfléchir sur quoi l’aristocrate avait protesté, et Daphnée à profiter du soleil réchauffant sa peau et ses vêtements, se vidant l’esprit. Du moins, jusqu’ ce que la jeune Springbury ne reprenne la parole et exprime ce qu’elle ressentait en présence de son amant. S’arrêtant brutalement, le bras toujours accroché à celui de son amie, Daphnée la regarda profondément, droit dans les yeux. Il était vrai qu’elle n’avait jamais vu la douce Mary aussi heureuse et comblée qu’en cette journée. Et peut-être avait-elle raison, peut-être que l’amour était plus fort que tout après tout ? Il suffisait de le laisser entrer dans son cœur… Mais tout ceci était plus fort qu’elle, elle ne pouvait aimer.


- Oh Mary mon amie… Si seulement vous pouviez avoir raison. Mais voyez-vous, lorsque je regarde mon passé et que je vois toutes ces femmes plus soumise aux hommes les unes que les autres, je me dis que tout ceci n’est point pour ma personne. Je souhaite être libre Mary !


En parlant de liberté, la jeune Grant avait le sourire aux lèvres et le regard pétillant. Elle repensait à ses escapades la nuit avec Louis à Paris, à ces nombreux bals où elle avait ridiculisé plus d’un homme à Londres. Toute cette liberté ne pouvait-elle pas l’associer à l’amour ? Reprenant un air plus grave elle continua :


- Et je ne pense guère que je puisse combiner l’amour à la liberté…

Mary regarda son amie, comme si c'était la première fois qu'elle la voyait. Les idées que Daphnée exprimait lui était à la fois complètement étrangères, mais lui ouvrait à présent d'autres horizons. Forcément, pour une jeune femme qui n'avait connu que la soumission, le dévouement aux hommes, cette idée était à la fois choquante et séduisante. Et pourtant, Mary savait que d'une certaine manière, les hommes qu'elle servait, et en particulier son père, étaient dépendants d'elle. Même dans le regard d'Henry, elle puisait inconsciemment une certaine force de l'étrange manière dont elle le soumettait. L'amour à sens unique pouvait sans doute être avilissant, mais l'amour réciproque soumettait deux être à égalité. En voyant l'amour dans les yeux des hommes, leurs adorations à leur égard, les femmes devenaient aussi fortes qu'eux. Cela, Mary ne le percevait que très confusément, et elle aurait aimé le transmettre à Daphnée, mais comment ?

"Oh, Daphnée, il me semble que vous ne parlez pas d'amour. A mes oreilles, votre discours ressemble à un mariage forcé, à un enfer dans lequel on a été plongé malgré non, mais ce n'est pas le visage de l'amour qu'il possède."

Elle réfléchit une demi-seconde, fronçant les sourcils et jetant un regard inquiet à sa merveilleuse amie. Comment pouvait elle, elle, Mary Springbury, faire preuve de tant de prétention, de liberté dans ses propos ?

"Comprenez-moi bien, je ne veux pas paraître arrogante, mais il me semble que l'amour vous rend plus libre que jamais, ou du moins, qu'il s'agit du moindre et du plus doux emprisonnement qui puisse nous saisir. Bien sûr, il faut qu'il soit réciproque, mais si l'homme que vous aimez vous aime vraiment, alors il n'y a aucun mal à ce que vous exigiez de lui autant de liberté que vous lui en donnez, non ? Enfin, je ne sais pas très bien... Daphnée, saurai-je seulement vous convaincre qu'il faudrait donner une autre chance à l'amour ?"

Mary disait sincèrement ses paroles, souhaitant réellement pouvoir influencer son amie, sans avoir qu'en la convainquant elle mettait en péril son propre bonheur...

Leurs idées étaient complètement différentes, leur apparence l'étaient également et pourtant elles ne pouvaient s'empêcher d'être si proche, à un point tel qu'elles s'avouaient absolument tout. Mary était de nature calme et sereine qui n'osait trop afficher au grand jour ses idées au risque de heurter quelqu'un, tendis que Daphnée était un peu trop frivole par moment et se moquait bien d'en blesser plus d'un avec ses opinions. Cependant, là où la jeune Springbury faisait confiance à l'amour, la jeune Grant ne voulait y croire et ce, peu importe ce que l'on ai pu lui dire. Son amie ne semblait pas chercher ses mots lorsqu'elle s'exprimait à propos de ses sentiments, tout lui venait naturellement et il fallait avouer qu'elle n'avait jamais été si radieuse que depuis qu'elle était amoureuse. Et malgré le sourire sincère que Daphnée lui affichait, sa tête refusait d'incorporer tout ce que Mary lui disait. Elle pensait que les hommes laissaient les femmes aussi libres qu'eux parle simple fait d'aimer, et ça Daphnée n'y croyait pas. Surtout que l'amour faisait bien trop mal à ses yeux pour s'y risquer.


- Je ne le pense guère ma chère Mary... Laisser entrer l'amour dans ma vie, comme j'aimerais une telle chose ! Mais en comparaison avec ce que cela peut me faire perdre... Je dois encore y voir plus clair avant de trop m'emporter dans mon jugement. Mais je vous promet Mary, que j'y réfléchirai !


Un nouveau sourire, mais ses pensées étaient ailleurs, perdues entre Henry et Paris, perdues entre sa tête et son coeur. Encore. Tout ceci la rongeait, il était pourtant dans ses habitudes de ne point faire trop attention aux conséquences de ses actes, mais dès qu'il s'agissait d'amour ou d'homme tout était différent. Daphnée voulait aimer et être aimée c'était certain, mais uniquement si elle avait la certitude que cela était bénéfique à sa personne. Elle aurait tant aimer pouvoir dire "oui je me lance et j'aime" mais pour je ne sais qu'elle raison celui lui était plus que difficile. Et elle enviait Mary pour avoir le courage d'aimer sans peur comme elle le faisait, d'être si confiante envers ses sentiments et l'amour en général.

Mary regarda son amie avec une moue de tristesse compatissante qui lui allait à ravir (et qu'elle utilisait d'ailleurs souvent). Elle ne pouvait croire qu'une personne comme Daphnée, si douce et si heureuse de vivre à ses yeux, puisse renoncer à l'amour. Après tout l'amour n'était-il pas l'apogée de la vie ? Ne se sent-on pas plus vivant que jamais en aimant ? Mary glissa d'autorité le bras de Daphnée sous le sien et posa sa main sur la sienne.

Elle avait l'impression que Daphnée ne lui disait pas tout. Cela en principe ne dérangeait pas Mary quand il s'agissait de quelqu'un d'autre, mais les deux jeunes femmes se disaient généralement tout, ou du moins Mary pensait que c'était le cas. Elle hésita un long moment avant d'interroger son amie. Après tout, il était fort possible que ce qui préoccupait Daphnée ne la regardait pas, mais peut-être la jeune femme hésitait à lui en parler. Mary préféra lui laisser l'opportunité de parler s'il en avait envie :

"Chère Daphnée, je sais que ça ne me regarde probablement pas, mais il me semble que quelque chose vous préoccupe... Vous n'êtes absolument pas obligée de m'en parler, mais je me disais que si vous en éprouviez le besoin, vous attendiez peut-être que je vous le demande. Aussi, parlez si cela peut vous soulager, mais ne vous forcez en rien..."

A présent, il lui semblait certain que quelque chose n'allait pas, et elle culpabilisait de s'être laissée aller à tant d'exubérance et de gaité alors que Daphnée était peut-être malheureuse. Elle afficha une mine inquiète et sincèrement amicale à son amie, comme pour appuyer la franchise de son petit laïus.

Les deux jeunes femmes continuaient d'avancer sereinement sous le soleil et la chaleur qui annonçait le début de printemps, sous cette paisible insouciance qui ne s'attend pas à ce qu'une terriblement tempête puisse éclater. Daphnée s'arrêta lentement et prit la main de son main entre les siennes. Affichant un petit sourire, la jeune aristocrate plongea ses yeux dans ceux de Mary et lui expliqua passionnément :


- Je... Mary... Il y a en moi tant de confusion. J'ai rencontré il y a peu un homme qui me fait sourire sans même qu'il lui faille dire quoique ce soit. Je ne sais s'il me fait la coure ou non, même si j'en doute grandement, cependant... son âme et son coeur semblent si pures, si bons, si vertueux !


Lâchant la main de son amie, Daphnée regarda au loin et recommença à marcher avant de continuer :


- Lorsque je vivais à Londres, nombres d'hommes plus respectables les uns que les autres me furent présentés et me firent la cour. Mais je n'ai jamais voulu de tout cela, me marier par intérêt. Puis, je suis venue ici, à Meryton, et je me moquait de finir vieille fille. Mais c'était avant de le rencontrer.. Aujourd'hui, j'ai simplement peur de souffrir Mary...


Daphnée s'arrêta de nouveau et regarda, tristement la jeune Springbury ne sachant pas ce qu'elle attendait véritablement.