© MYMZ & LLAM (2)

STATELESS - prism #1

Talia n'avait plus parlé depuis qu'elle était sur le cheval accrochée fermement contre Kasey, à vrai dire elle était légèrement dans le flou. Il n'avait pas réagi. Il s'était contenté de l'emmener avec lui sur le cheval et de partir de son habitat, combattant encore une nouvelle fois la colère du temps que Meryton endurait. Mais malgré cette peur qu'elle ressentait à cause de cela, une autre terreur gagnait amèrement en elle. Et si elle avait perdu son meilleur ami ? Mon dieu, elle ne voulait absolument pas que cela se passe ainsi entre eux ils ne pouvaient pas s'éloigner de la sorte... Elle ne voulait absolument pas le perdre... Elle en serait chagrinée...

Elle regrettait dorénavant de lui avoir dit la vérité sur les sentiments qu'elle éprouvait pour Alice, c'était sorti tout seul mais en même temps elle ne pouvait pas non plus le laisser espérer que les sentiments qu'il ressentait pour elle soient réciproques. Elle ne pouvait pas le laisser dans l'illusion qu'elle puisse aussi à son tour ressentir une forme d'amour autre que celui de l'amitié qu'elle lui portait à cœur. Non, ça serait injuste et trompeur et... et elle n'était pas comme ça, déjà qu'elle était déjà allée trop loin avec lui dans la grange -d'ailleurs elle culpabilisait grandement car maintenant elle ne savait pas comment elle allait se comporter devant Alice après tout ce qui venait de se passer avec Kasey-.

Arrivés dans le manoir, ils entrèrent donc dans l'écurie. Talia descendit de son cheval puis Kasey à son tour. Les yeux de celle-ci le fixèrent mais lui il avait plutôt toute son attention sur l'animal. Elle se pinça la lèvre inférieur et baissa les yeux qui devenaient légèrement brillants. Alors quoi il allait rester là à l'ignorer après cette révélation ? Il allait rester à ne rien dire et à faire comme si elle n'était pas là ? C'était ça qu'il comptait faire ?!?

Elle ressentait une boule au niveau de sa gorge. Elle ne savait pas comment l'aborder dorénavant, c'était le comble quand même, elle qui avait la parole facile avec les personnes surtout avec Kasey, là, elle ne savait même pas quoi dire. Puis une voix la sortit alors de ce méandre de pensées confuses dont son esprit s'était tout bonnement enfermé.

Elle se retourna et vit alors Alice. Génial. Et là comment devait-elle se comporter ? Maintenant que Kasey savait ses sentiments pour cette dernière ? Et avec Alice ? Depuis hier soir (on va dire que c'était hier que le moment dans le bain s'est passé hein xD) elles ne s'étaient pas réellement reparlées. Talia se sentait très mal, vraiment très mal, d'ailleurs cela se voyait dans son regard. Elle cligna des yeux puis s'inclina tout bonnement devant Alice, comme un domestique devait le faire devant leur maître. C'était vraiment une situation très désagréable...

Depuis l'aube au Manoir, l'ambiance était à la tension, et pas forcément des plus contenue. Une des cuisinières avait déjà perdu connaissance, submergée par la panique. D'autres fixaient nerveusement les bourrasques de vent plier les arbres à travers les hautes fenêtres de la Maison, devenues néanmoins insuffisantes pour éclairer la pièce par ce temps noir. Tous s'étaient regroupés dans le grand salon du Manoir Lefroy, celui qui servait généralement pour les plus prestigieuses réceptions. On avait poussé la plupart du riche mobilier contre les murs pour réaménager l'espace et gagner de la place.

Quelques domestiques avaient été chargés d'allumer d'imposants candélabres et de les disposer aux quatre coins de la pièce, la plongeant ainsi dans une sorte d'ambiance tamisée qui n'avait cela dit rien d'apaisant. Au contraire, voir toutes les ombres des personnes l'entourant se projeter contre les murs, déformées par l'angoisse et les gestes brouillons, mettait Alice encore plus mal à l'aise. Elle se tenait là depuis maintenant deux heures.

Cette nuit-là, elle n'avait que vaguement fermé l'œil. Trop d'événements l'avait chamboulée récemment pour qu'elle puisse à nouveau trouver le sommeil.

Et maintenant, elle était déchirée entre la nécessité qui lui était imposée par la situation de rester silencieuse, calme et bien droite -Miss Owen se tenait près d'elle et y veillait- et sa peur grandissante de ne pas voir Talia parmi les dizaines de personnes présentes dans la pièce.

Alice sentait qu'elle était tendue au plus haut point. Ses mains serraient le tissu de sa robe si fort qu'elles laissèrent des marques dessus, et ce fut finalement la rigide baguette de bois de Miss Owen qui s'abattit sur les doigts d'Alice pour les marquer à leur tour.

Mais soudain, alors que le temps dehors s'affolait, déchaînant sa furieuse puissance sur le village, un domestique entre dans la salle dans un grand fracas, annonçant l'approche d'un cheval portant deux personnes, un homme et une femme, vers le Manoir. Immédiatement, Alice avait été à l'affut, désireuse d'en apprendre plus. Elle n'était pas stupide : Talia n'était pas dans la pièce, et seuls des hommes avaient été envoyés dans d'autres pièces pour les barricader ou s'assurer que tous étaient à l'abri. Cela signifiait que Talia n'était pas au Manoir. Et s'il y avait la moindre chance pour que cette femme sur ce cheval à l'approche soit Talia, alors Alice ne voulait pas manquer son arrivée. Et elle lui dirait de sa propre bouche, en la regardant droit dans les yeux, de ne plus jamais lui faire une telle frayeur. Elle lui ordonnerait même, s'il le fallait, de ne plus jamais quitter la Manoir tant que la Tempête ne serait pas terminée. Elle hausserait le ton s'il le fallait, elle s'énerverait, même... Car elle avait eu peur, Alice. Car pendant de longues minutes, qui se transformèrent vite en de longues heures, elle avait craint ne plus jamais la revoir, elle avait craint ne jamais pouvoir lui reparler, et après ce qui s'était passé la veille au soir, cela aurait été une pure torture. Cela aurait été un cauchemar vivant, cela aurait été l'enfer. Et le pire, c'était qu'elle avait du contenir sa peur et ne rien laisser paraître... Car c'était son fardeau, à présent, de vivre une vie secrète. Une passion secrète, peut-être... Mais Alice restait confuse à ce sujet.

Et Alice parvint à s'échapper de l'attention de Miss Owen pendant quelques secondes. Quelques secondes, très précieuses, qui lui suffirent à s'élancer vers la porte du salon, menant sur un couloir dans lequel elle se mit à courir, soulevant sa fine robe entre ses doigts. le bruit de ses chaussures frappant le carrelage à toute allure alerta néanmoins Miss Owen, qui ordonna à deux domestiques de la suivre pour la ramener au salon. Mais Alice se mit à courir encore plus vite, et s'appuya de toute son poids sur le grande porte qui menait à la Cour intérieure du manoir. Celle dans laquelle se dressaient les écuries.

Elle fut trempée en un rien de temps, tout comme les deux domestiques qui arrivèrent à sa suite, prêts à l'attraper pour la ramener à l'intérieur. Mais en la voyant immobile de la sorte face aux deux "visiteurs", ils l'imitèrent et arrêtèrent leur course également.

Alice, essoufflée, mais le regard porté par une certaine colère, elle-même liée à de la peur, se tenait droite face à Talia et Kasey. Elle ne connaissait pas bien ce dernier, mais savait qu'il travaillait en cuisine. Elle ignorait cela dit tout de la relation qu'entretenait Talia avec lui, mais un bref aller-retour de son regard entre eux deux lui fit comprendre que quelque chose n'allait pas.

Mais quand Talia s'inclina devant elle, toute trace de fureur s'envola, et il ne resta qu'un mélange de peur effroyable et de soulagement intense. La peur de l'avoir en face d'elle à nouveau, alors qu'elles n'étaient plus seules, la peur que tout le monde devine ce qu'il s'était passé la veille, la peur de l'inconnu. Le soulagement, bien sûr, car Talia s'était trouvée dans la Tempête et qu'elle aurait pu la perdre, mais qu'elle était finalement là, face à elle.

- As-tu perdu l'esprit, pour sortir par ce temps ? Bien que sa phrase s'y prêtait, il n'y avait pas une once de reproche dans ses mots. On sentait plutôt qu'elle était vraiment chamboulée.

Alice se rapprocha d'elle et s'arrêta à un pas d'elle seulement. Elle regarda autour d'elles, embarrassée, et se mordit les lèvres.

- Redresse-toi, s'il te plaît Talia, lui murmura-t-elle de sorte qu'elle soit la seule à entendre.

Domestique : Lady Alice !...

- Miss Owen attendra, Mr. Franck. Fit-elle en regardant le domestique qui l'avait interpelée. S'il vous plaît, menez plutôt Mr. Kasey et Miss Talia à l'intérieur, et assurez-vous qu'on leur donne de quoi se couvrir et de quoi manger.

Franck : A votre service, Lady Alice. Mais Miss Owen attend que nous vous ramenions à l'intérieur.

- Ne vous en faites pas pour cela, je connais le chemin de ma propre maison, Mr Franck.

Alice surprit néanmoins le regard empli de pitié de Franck, qui devait certainement avoir eu vent des coups que Miss Owen infligeait à Alice à longueur de journée. Alice baissa les yeux sur le sol, sentant soudainement son assurance du moment la quitter, et elle tendit timidement sa main vers celle de Talia pour s'en saisir et entremêler ses doigts aux siens sous la pluie battante.

Franck les amena tous les trois au sec, et l'autre domestique s'occupa du cheval avant de rentrer à son tour.