Aux environs de une heure du matin, Rupert ne parvenait toujours pas à trouver le sommeil, chose curieuse car il n'avait pas accomplie moins de tâches que d'ordinaire et ces tâches exigeaient, en général, suffisamment d'énergie pour le plonger dans le pays des rêves à la seconde où il déposait sa tête sur son oreiller. Néanmoins, cette nuit-là, le sommeil semblait avoir prit la fuite, laissant un Rupert parfaitement éveillé et alerte. N'ayant guère envie de passer la nuit à se tourner et se retourner dans son petit lit dans sa chambre de domestique, il repoussa ses draps et sauta hors de son lit. Ses yeux n'étant pas encore habitués à l'obscurité, c'est à tâtons qu'il chercha une allumette sur la petite table qui se trouvait à côté de son lit. Ses doigts rencontrèrent enfin le petit objet en bois fin. Il frotta l'allumette contre sa table et, la seconde qui suivit, une petite flamme prit vie en son sommet, éclairant faiblement la petite chambre de Rupert. Se redressant un peu plus, il tendit le bras et alluma l'unique bougie qu'il avait. Sa chambre fut alors bercée d'une faible lumière. Des ombres semblaient dansaient sur les murs, donnant à la pièce un aspect un peu effrayant pour des personne craintives. Voyant enfin clair, Rupert se leva et alla chercher un livre dans sa commode. Il avait trois livres en sa possession.Ce n'étaient pas des livres des Tiddler mais des livres qui appartenaient à Heather, à son ancienne vie et dont il n'avait pas pu se séparer. C'était Heather qui lui avait appris à lire, un luxe rare mais dont il lui était reconnaissant. Avec un soupir las, il prit un livre au hasard et revint s'allonger sur son lit. Il connaissait ces trois livres par cœur mais il ne se lassait jamais de redécouvrir les pages. Éclairé à la faible lueur de la bougie, il commença la première.

Ce n'est que dix minutes plus tard, alors qu'il n'avait parcourus que quelques pages, qu'un grand bruit retentit dans le manoir, brisant le silence inquiétant de la nuit. Rupert, surpris, tressaillit légèrement et leva aussitôt les yeux de son livre. Qui pouvait faire un tel bruit à une heure aussi avancée de la nuit? Le majordome doutait que ce fut un membre de la famille Tiddler. Un cambrioleur peut-être? Étant l'un de ses devoirs, en tant que majordome et en tant qu'homme, de vérifier qui avait fait ce bruit alors que le manoir était endormi, Rupert bondit hors de son lit. Il enfila rapidement ses chaussures, se saisit de sa bougie à la flamme tremblotante et c'est en chemise de nuit qu'il quitta sa chambre. Cette dernière se trouvait au dernier étage, près du grenier, comme toutes les chambres des domestiques. En écoutant brièvement aux portes, Rupert se rendit compte qu'aucun des domestiques ne s'étaient réveillés. Le jeune homme descendit à l'étage inférieur, là où se trouvaient les chambres de ses maîtres. Là encore, aucun bruit. Apparemment, il était le seul à avoir entendu ce bruit. Après un rapide passage devant les chambres, Rupert descendit au rez-de-chaussé. Son regard fut attiré par une lueur qui venait de la bibliothèque. Un cambrioleur pouvait très bien s'intéresser aux livres anciens ou bien aux chandeliers qui s'y trouvaient. Ou encore cherchait-il peut-être des informations sur ce manoir que l'on disait hanté? Pour en avoir le cœur net, Rupert s'avança vers la pièce à pas de loups. Toujours sans bruit, il pénétra brusquement dans la pièce mais ce n'était pas un cambrioleur qui se trouvait là, seulement...

-Miss Shatterney!

Rupert inclina respectueusement la tête. Miss Lydia Shatterney, qui avait sursauté à son apparition, le regardait avec surprise. Le jeune homme comprit que cela devait la surprendre que le majordome surgisse tout d'un coup dans la pièce à plus d'une heure du matin, en chemise de nuit, munis d'une bougie qui donnait à son visage un aspect effrayant.

- Je vous pris d'excuser mon intrusion Miss. J'ai entendu un bruit et je suis venu m'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un cambrioleur...

Il était rare qu'il parle autant mais il voulait se justifier pour que la Miss ne pense pas qu'il l'épiait. le regard de Rupert fut soudain attiré par quelques livres qui se trouvaient sur le sol, en bas des étagères. Le bruit s'expliquait: elle avait dû faire tomber les livres.

Minuit. Le manoir des Tiddler était plongé dans un profond et doux silence. Un silence si profond qu’il vous mène, presque facilement, au pays des rêves, vous apaisant, vous transportant vers quelques minutes de profonde plénitude. Lydia n’avait pas dérogé à la règle et était partie aux pays des songes de bonne heure. Elle dormait depuis déjà quatre longues heures, profitant de ces moments de douceur, quand un sursaut, une sueur froide la sortit violemment de sa rêverie. Elle avait bondi dans son lit et se retrouvait à présent assise, tremblante. Elle passa la main sur son visage et constata qu’elle avait beaucoup transpiré pendant son sommeil. Un frisson la parcourut et elle ne put, malgré de multiples tentatives retrouvé le cauchemar qui l’avait tant choquée. Elle essaya de se rendormir mais une profonde angoisse l’en empêcha, et le silence protecteur se transforma en un silence angoissant. Où sont passés les bruits de la nuit ? Jamais un lieu n’est totalement plongé dans le silence, que faisaient les animaux, les humains ? Pourquoi les parquets ne craquait-il pas sous les pas d’un domestique affamé ou d’une cousine désobéissante ? Lydia se dirigea vers sa fenêtre : le calme avant la tempête. Celle-ci arrivait et ne pouvait plus être évitée. Elle ferma les yeux, respira profondément et sortit de la chambre, en tentant de respecter le pesant silence.
Elle était à présent dans la bibliothèque de son oncle. Elle cherchait un livre. Ceux-ci étaient rangés avec beaucoup de soin, par ordre alphabétique. Les étagères étaient si grandes que les livres commençant par les premières lettres de l’alphabet étaient indécemment hautes. « Esotérisme » était le livre qu’elle cherchait, elle avait vu son oncle le lire il y a peu de temps. Lydia n’était pas vraiment grande, plutôt petite même, et elle désespérait d’attraper le livre qu’elle avait maintenant repéré. Trop haut.

Mais la demoiselle avait beau ne pas être grande, elle avait toujours de grandes idées. Elle visualisa son but, et entreprit de le faire tomber avec un balai. Elle commença à taper dans le livre afin de le faire bouger. Au bout de 10 minutes de gymnastique en essayant par tous les moyens de faire tomber le saint graal, Lydia réussit. Le problème, c’est que le livre entraina dans sa chute une trentaine de ses amis, et ce, dans un bruit infernal. Pour la discrétion, il faudra repasser. De plus, une encyclopédie venait de lui écraser le pied et elle souffrait le martyr, en silence, pour rester "discrète". Pourtant, la chute avait surement réveillé tout Meryton. Elle attrapa le livre, et décida de se cacher derrière un des épais rideau, car elle avait entendu des pas venir par elle. Elle sauta à cloche pied vers la fenêtre, attrapa le rideau quand :

- - « Miss Shatterney !»

Elle se retourna. Rupert. Elle grimaça et se retourna vers lui. A ce moment là, son esprit, encore un peu endormi, ne fit qu’un tour, qu’allait-il penser d’une miss, qui, à une heure et demi du matin, saute à cloche pied dans la bibliothèque, alors que, parterre, s’étalent une trentaine de livres ?

- - « Je vous prie d'excuser mon intrusion Miss. J'ai entendu un bruit et je suis venu m'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un cambrioleur...»

Deux solutions s’offraient à elle. La première était de sauter par la fenêtre et d’essayer de défier la gravité pour s’enfuir en volant. Elle jeta un coup d’œil à la fenêtre. Trop haut. La deuxième lui permettait de mettre en œuvre son sens de la comédie et de gagner quelques minutes de réflexion. Elle s'exclama :

- Rupert ! Je …. J’ai… Vous … !

Et elle s’écroula parterre. L’évanouissement était l’idée la plus intelligente qu’il soit. Elle se trouva parfaite comédienne. Encore une fois son intelligence la foudroya. Elle se mit à imaginer une cérémonie, où les gens lui remettraient des prix pour ses talents de comédiennes. Elle serait la seule lauréate dans toutes les catégories. Elle appellerait ça les Lydia D’Or. Cela serait parfait. Un peu plus et elle inventait la cérémonie des Oscars, mais seulement en son honneur.
Contente de son petit effet, elle attendit qu’il réagisse. Elle se « réveillerait » dans quelques minutes, et avec un peu de chance, il ne lui poserait pas de questions.

Un regard circulaire dans la pièce prouva à Rupert que, à part la chute d'une trentaine de livres plus volumineux les uns que les autres, il n'y avait pas de casse dans la bibliothèque. Deux chandeliers avaient été allumés, berçant la pièce d'une lueur à la fois rassurante par sa chaleur et inquiétante par les ombres curieuses qu'elle dessinait sur les murs. Le jeune majordome posa ensuite son regard sur Miss Shatterney. Ce n'était pas la personne de la famille Tiddler qu'il aimait le plus (il la trouvait trop dissipée pour une Miss) mais il ne laissa rien paraître sur son visage qui pourrait trahir ses pensées. Il fut cependant surprit par la position curieuse qu'avait la jeune Lydia: une main sur un des grands rideaux de velours en train de sauter à cloche-pied. S'était-elle blessée pour aborder une telle position? Rupert allait lui poser poliment la question lorsque la jeune femme poussa soudain une exclamation dans laquelle elle prononça quelques bribes de mots avant de s'écrouler par terre. Le jeune homme resta quelques secondes immobile, stupéfait par cet évanouissement soudain, avant de se secouer la tête pour redescendre sur terre. Il posa la bougie qu'il tenait à la main sur une table avant de venir se mettre à genoux près de la jeune femme. Son état le surprenait. Était-ce son intrusion soudaine qui l'avait surprise au point de lui donner le tournis? Si cela n'était pas la raison, il ne voyait pas ce que cela pourrait être autrement. N'ayant aucune compétence dans le domaine de la médecine, Rupert fut un peu désemparée. Cependant, il garda son sang-froid légendaire. Il saisit doucement l'épaule de Miss Shatterney et la secoua doucement.

-Miss Shatterney?

Elle ne réagit pas. Il se pencha ensuite au-dessus de son visage pour écouter sa respiration. Elle semblait normale. C'était déjà cela! Avec douceur, Rupert fit glisser ses bras sous le corps mince de la jeune femme puis, en prenant garda de ne pas perdre l'équilibre, il la souleva du sol et alla l'allonger sur un sofa qui se trouvait dans la pièce. Il récupéra ensuite sa bougie et quitta la pièce pour se diriger vers la cuisine. Dans un placard, il se saisit d'un tissu qu'il humidifia. Il versa également dans un verre un peu de vin qui donnerait à la jeune femme une fois qu'elle se réveillerait: cela devrait la remettre d'aplomb. Il revint dans la bibliothèque. La jeune femme n'avait pas bougé. Il posa le verre sur une table puis, après avoir surélevé la tête de la jeune femme, il déposa le tissu sur son front. En attendant qu'elle revienne à elle, Rupert alla vers les livres étendus au sol et entreprit de les ranger à leur place.

Fort satisfaite de son petit effet Lydia entrouvrit les yeux pour voir où en était la situation. Bien sur, il ne verrait pas qu’elle l’observait, elle avait développé cette méthode si particulière pour observer ce qu’il se passait lorsqu’elle faisait semblant de dormir. Généralement elle se posait dans un salon et « s’assoupissait » sur un canapé. Ainsi elle entendait ce qu’il se disait. C’est de cette manière qu’elle avait appris de nombreuses nouvelles confidentielles. Elle regarda donc Rupert qui lui sembla quelques peu décontenancé. Elle fut ravie de constater qu’elle l’avait privé de son flegme habituel pendant quelques secondes. Cependant il reprit vite son visage impassible et s’avança vers elle. Elle referma les yeux totalement pour être sûre qu’il ne comprenne pas sa ruse. Décontenancer le majordome, était un de ses passe-temps favoris. Il était bien trop sérieux et beaucoup trop triste, à son goût, pour qu’elle n’intervienne pas. La mission première que s’était donné Miss Lydia Shatterney, était de lui pourrir la vie, pour le sortir de sa monotonie. Elle profita de ce moment où elle fut plongée dans le noir pour se re-concentrer sur sa petite personne. Son pied lui faisait horriblement mal.

Elle sentit alors un souffle chaud sur sa figure, et se sentit secouée, ce qui n’arrangea pas sa douleur au pied, mais elle garda son sang froid : crier sur Rupert l’aurait soulagée mais cela aurait tué son rôle de composition : la miss évanouie. Il l’appela. Comme si elle allait lui répondre, naïf, va. Il vérifia ensuite sa respiration. Elle se sentit vraiment merveilleuse comédienne. Elle pourrait aussi jouer les mortes. Pourquoi pas. Une prochaine fois peut être. Elle ferait peur au majordome de cette façon, histoire de le malmener encore un peu, une prochaine fois, il fallait qu’elle s’entraîne avant.
Avec une grande délicatesse, qu’elle apprécia, Rupert la souleva et la ramena jusqu’au sofa. Elle regarda s’éloigner son livre sur le spiritisme à grand pas. Pourvu qu’il ne le voie pas pensa-t-elle. Il la coucha sur le sofa et déjà dans son esprit, mille idées se bousculaient pour récupérer ce fichu livre restait là où elle était « tombée ». Puis le majordome partit.
L’ingrat ! Il la laissait là. Seule et sans défense. Elle aurait pu mourir de mille morts, seule, dans la bibliothèque. Mine de rien, c’est dangereux une bibliothèque, le pied enflé et douloureux de Lydia était, en lui-même une preuve frappante. Elle pesta de rage contre Monsieur Cassian qui ne paierait rien pour attendre. Au moins, elle pouvait récupérer son livre, à cloche pied. Elle manqua de tomber deux fois, atteint le livre quand des bruits de pas lui parvinrent. Surprise, elle jeta de nouveau son livre à terre, et se jeta sur le sofa, essayant de se retrouver sa position, inerte, initiale. Elle se mit à prier pour qu’il soit assez distrait pour ne pas remarquer que, dans la bataille, elle avait perdu une chaussure. Il ne sembla pas le remarquer. Il lui posa un tissu sur le front, alors que c’était son pied qui aurait eu besoin d’une bassine de glaçons. Quand il la délaissa pour ranger les livres, elle s’offusqua. Comment osait-il la laisser là, comme ça, risquant mille morts (bis) préférant s’occuper de… LIVRES ? Il fallait qu’elle redevienne la reine de la scène. Une idée, vite une idée. Elle ne pouvait pas se faire voler la vedette par de vulgaires livres. Elle se mit à tousser violemment et se mit à se plaindre, feignant le réveil :

- Où suis-je ? Pourquoi sommes-nous ici ? AAAAAAAAH MON PIED !! Je souffre, que s’est-il passé ??

L’amnésie. Meilleure solution pour le troubler encore plus. Il allait enfin pouvoir se re-concentrer sur elle, et elle seule. Et puis au moins, il se posera des questions. Idéal.

Tandis qu'il soulevait les lourds et précieux manuscrits de la famille Tiddler, Rupert se demanda ce que Miss Shatterney faisait à une heure pareille dans la bibliothèque en train de chercher des livres plus lourds les uns que les autres. En plus de cela, sa maladresse avait fait qu'elle avait renversé plusieurs livres, produisant un bruit qui avait été à deux doigts de réveillé tout le manoir. Heureusement que ses maîtres avaient le sommeil profond! Et heureusement que Rupert était éveillé lorsque ce bruit s'était produit. Avec un soupir, Rupert saisit deux autres volumes sur le sol et, après s'être assuré qu'ils n'avaient pas été endommagés par la chute, les remit à leur place. Le jeune homme jeta un bref regard à Miss Shatterney, toujours étendue sur le canapé. Décidément, plus le temps passait, plus le comportement de cette demoiselle lui était difficile à supporter. Oh il savait parfaitement que ce n'était pas sa faute si elle avait fait tombé les livres et fait un vacarme épouvantable, cela pouvait arriver à tout le monde! Non, c'était surtout son attitude envers lui qui l'agaçait. Elle était constamment en train de chercher un moyen pour lui rendre la vie impossible. Rupert en ignorait les réelles raisons et supposaient que c'était simplement du à son caractère... comment dire... impossible? L'un de ses passes-temps favoris était, apparemment, de lui donner toute sorte d'ordre aussi ridicules et humiliants les uns que les autres. Bien évidemment, il était obligé d'obéir à sa maîtresse sinon il serait sévèrement réprimandé par la capricieuse demoiselle.

Soudain, brisant le silence de la bibliothèque et tirant brusquement Rupert de ses pensées, Miss Shatterney fut prise d'une violente quinte de toux avant de revenir à elle. La majordome rangea rapidement le dernier livre qu'il tenait dans la main sur l'étagère correspondant et vint au chevet de la demoiselle. Cette dernière semblait souffrir d'amnésie. Rupert se demanda comment cela était possible: un simple évanouissement ne pouvait pas provoquer une perte de mémoire, non? Néanmoins, il n'eut pas le temps de se concentrer plus longtemps sur cette question car Miss Shatterney poussa un cri en se plaignant de sa cheville qui était douloureuse. Rupert se mordit légèrement la lèvre (elle comptait vraiment réveillé tout le manoir?) avant de murmurer:

-Vous vous êtes évanouis quand je suis entré dans le bibliothèque Miss Shatterney. Je vous ais allongé sur ce canapé et vous ais déposé cette compresse froide sur le front.

Rupert avisa le verre de vin qu'il avait posé sur une table. Il l'attrapa délicatement et en fit boire quelques gorgées à la jeune femme. Il reposa ensuite le verre et observa alors la cheville de la jeune femme. Effectivement, il vit qu'elle était un peu plus gonflée que l'autre. Elle avait du se la tordre en attrapant les livres. Relevant les yeux vers la demoiselle, le majordome demanda:

-Souhaitez-vous que je fasse venir un médecin pour examiner votre cheville? Cela me semble assez sérieux.

Spoiler:

S’il y avait bien une chose que Miss Shatterney détestait, c’était les médecins. Surtout celui de Meryton. Un odieux personnage, qui à plusieurs reprises avait voulu lui faire passer des tests pour s’assurer de sa santé mentale. A son goût, elle était, beaucoup trop portée sur le paranormal, et, malgré une stricte éducation, elle restait insensible à toute bienséance. Selon le docteur, cela ne pouvait résulter que d’un trouble psychique qu’il se proposait souvent de guérir au moyen de quelques élixirs accompagnés de quelques séance de purification du sang grâce à des saignées et des sangsues bien placées. Autant dire que Lydia, ne raffolait pas du corps médical. Elle le fuyait même.

Quand Rupert lui proposa d’appeler ledit docteur, elle changea de couleur et devint – réellement – livide. Elle articula péniblement qu’elle n’avait, finalement, pas si mal que cela et que, l’état d’inconscience qui l’avait frappé pendant quelques minutes avait dû lui faire exagérer sa douleur. Maintenant qu’elle était en pleine possession de ses moyens, elle se rendait bien compte qu’elle ne souffrait point. Elle changea de position et poussa un autre petit cri de douleur. Elle jeta un regard glacé d’effroi vers le majordome en répétant sans cesse que oui, tout allait bien et que les seuls soins qu’elle souhaitait étaient ceux qu’il pouvait lui-même lui prodiguait.

En parallèle à cette scène, elle réfléchissait à pleine vitesse, combien de temps cela pouvait-il bien prendre pour sauter à cloche pied jusque là où était caché son précieux livre, et s’enfuir –toujours sur une jambe- pour s’enfermer dans sa chambre jusqu’à ce que son pied dégonfle et l’éloigne définitivement de toute perspective de rencontre avec un médecin. Ruper la laisserait-il partir comme ça, au risque qu’elle se blesse encore plus qu’elle ne l’était déjà ? Elle en doutait, et à juger de par sa musculature, il aurait vite fait de l’attraper pour l’en empêcher. Elle songea que, parfois, il prenait trop à cœur son travail.

Elle lui sourit aimablement, peut être qu’en lui faisant du charme, elle arriverait à lui faire penser à autre chose qu’à son pied. Elle minauda, puis le regarda dans les yeux :

- Vous et moi, sommes partis sur de mauvaises bases, mon cher Rupert… J’aimerais tellement en savoir un peu plus sur… vous. Si je m’écoutais, je voudrait tout savoir de vous !

A ce moment, elle se dit que le majordome qu’elle connaissait, froid et distant, risquait de ne pas se laisser avoir si facilement. Non, Rupert était plus du genre à lui montrer que s’il n’était pas son domestique, et s’il n’était pas si respectueux des convenances, il pourrait lui tenir tête sans remords. Et parfois, dans un soupir, un regard, elle pouvait lire son exaspération. Elle adorait ses moments, et voulait les provoquer encore et encore ! Ce jeu était de loin son préféré et cela ne lui déplairait pas, qu’un jour, il ose lui dire, peut être sous forme de sous entendus, qu’il en marre d’elle, qu’il voudrait ne plus jamais la voir, qu’il voudrait l’étrangler dans un coin du couloir. Bref, qu’il voudrait ENFIN travailler en paix. Car pour elle, la vision ultime de la gent masculine était celle d’un homme qui puisse lui tenir tête.

Mais peut être se trompait-elle ? Peut-être appréciait-il ses frasques, peut-être tomberait-il facilement dans le panneau du « je veux tout savoir de vous »…
Elle se dit, qu’au pire, elle pourrait toujours reprendre son plan initial – s’enfuir à cloche pied- en ajoutant une étape : assommer le majordome avec un énorme livre. Demain, elle nierait l’avoir jamais rencontré dans la bibliothèque et, évidemment, sa parole prévaudra sur celle du domestique. Elle expliquera qu’un coup sur la tête pourra avoir troublé sa mémoire, le pauvre. Ce qui était bien, c’est qu’il avait tout bien rangé, ce qui lui évitera d’avoir à le faire pour effacer les preuves de son crime.

Spoiler:

Ce fut avec stupéfaction que Rupert vit le visage de la jeune femme passer d'une couleur rose claire à une pâleur de craie. Qu'avait-il dit de mal pour qu'elle réagisse de cette façon? C'est alors que le majordome se souvint que Miss Shatterney ne portait pas le médecin de Meryton dans son cœur. Rupert sourit intérieurement en se remémorant la cause de cette absence totalement d'affection pour le vieux médecin du village: ce dernier avait souvent pris la jeune femme pour une personne ayant de sérieux problèmes mentaux. C'était, certes, assez exagéré... Quoique.... Rupert s'était souvent demandé pour la jeune femme prenait un tel plaisir à contourner les règles et les codes qui devaient faire d'elle une personne "convenable". Depuis qu'il était au service des Tiddler, la jeune personne avait pris un malin plaisir à rendre sa vie impossible et, quelque part au coin de sa tête, Rupert avait parfois pensé qu'elle devait avoir un petit problème cérébral pour agir ainsi. Mais, sincèrement, il savait que c'était le caractère de Miss Shatterney d'être dissipée. Le médecin avait cru pouvoir en venir à bout mais, Rupert savait que si aucune personne n'y était parvenu jusque là, le vieux médecin ne changerait rien de plus. La jeune demoiselle finit par articuler péniblement que la douleur n'était pas insupportable au point de faire venir un médecin.

-Comme il vous plaira.

Rupert tressaillit légèrement lorsque Miss Shatterney fit un léger mouvement qui lui arracha un petit cri de douleur. Cette dernière affirma également qu'elle voulait seulement recevoir les soins qu'il pourrait lui apporter. Rupert se retint de grimacer à cette idée. Voilà qui n'était pas pour lui faire plaisir. Mais, n'ayant aucun droit de riposter ou de protester contre cette demande, Rupert n'eut d'autre choix que de hocher docilement la tête en signe d'accord. C'est alors que le regard de Rupert fut attiré par un détail dans la pièce. Il vit un chaussure dans un coin de la bibliothèque. A l'évidence, elle appartenait à Miss Shatterney mais comment avait-elle pu atterrir là? Le jeune homme était certain que, lorsqu'il avait déposé la jeune femme suite à son malaise, elle portait bien ses deux chaussures aux pieds. Cela voulait donc dire qu'elle s'était levée entre temps. Les soupçons de Rupert éclatèrent dans sa tête: elle avait joué la comédie depuis le début. Son malaise n'était que feinte! Pourquoi avait-elle fait cela? Sans doute pour l'embarrasser comme à son habitude. Cependant, Rupert ne laissa rien paraître de sa découverte et tourna la tête vers la jeune femme lorsqu'elle reprit la parole. Le jeune homme fronça légèrement les sourcils lorsqu'elle lui sourit gentiment (chose qu'elle n'avait jamais fait à moins que cela soit ironique) et qu'elle lui formula son souhait de le connaître un peu plus. Bien qu'il se douta que cela faisait partie de son plan "machiavélique" pour l'ennuyer une fois de plus, Rupert ne put s'empêcher de se raidir à l'idée de partager son passé.

-Il n'y a rien à savoir Miss Shatterney.Déclara-t-il plus froidement qu'il ne l'aurait voulu et en se refermant comme une huître. Ma vie n'est faite que d'ennuis et de mauvais souvenirs.

Sur ce, Rupert se releva et se détourna légèrement de la jeune femme qui sembla quelque peu surprise par cette réaction. Il n'avait pas voulu lui parler ainsi mais cela avait été plus fort que lui.

-Je vous pris d'excuser mon impolitesse Miss Shatterney...Poursuivit-il, sa voix à présent maitrisée et totalement neutre.

Son regard se posa une nouvelle fois sur le soulier égaré. Il s'en approcha et le saisit délicatement entre ses mains. Il s'approcha de la jeune femme et s'assit près d'elle en lui présentant la chaussure.

-Je crois que vous avez perdu ceci.

Le regard de Rupert laissait clairement entendre qu'il n'était plus dupe face au cinéma de la jeune femme. Elle pouvait continuer à faire la comédie si cela la chantait mais, à présent, Ruper savait à quoi s'en tenir.

Spoiler:

Lydia fut quelques peu surprise par la brusquerie du majordome. Ainsi il n'aimait pas parler de sa vie passée ? Voilà de quoi piquer la cuiosité de la Miss. Il fallait qu'elle sache. Comment pourrait-elle continuer de vivre sous le même toit que lui, sans savoir quel est son secret ? Elle se demandait si lui aussi avait un ami imaginaire, comme certaines personnes en ville, ou s'il avait décimé une famille de grenouille venant directement de Chine. Ou alors il était le fils caché du vieil oncle Tiddler. On ne sait jamais dans la vie.
Elle était déjà partie très loin

Après cet élan, il reprit sa voix anormalement calme et neutre. Il l'agaçait à toujours être aussi imperturbable. Il pouvait bien s'excuser, il avait mis un coup de pied dans la fourmilière, et, elle avait beau affichait un sourire innocent, elle réfléchissait déjà à comment elle allait bien pouvoir lui faire dire ce qu'il ne voulait pas dire.
Une bonne prime ? Non il ne se laisserait pas corrompre. Peut etre que l'alcool serait une bonne solution ? Il n'avait pas l'air du genre à boire souvent, peut-être qu'un ou deux verre d'alcool suffiraient pour lui faire tourner la tête. Avec un peu de chance, tout cela délierait sa langue. Elle songea à d'autre éventualité, une en particulier qui la fit rire intérieurement : une vision de Rupert dansant sur une table en chantant des chansons paillardes. S'imaginer la scène lui plaisait vraiment, lui si strict, si convenable, en train de crier sur une table. Un nouveau but ?
Mais voilà Lydia s'était encore laissée emportée par ses pensées et quand elle revint à elle, elle ne comprit pas tout de suite ce qu'il lui arrivait.

Elle fit la mou et le regarda brandir, avec un orgueuil modeste, sa propre chaussure. Elle mit quelques secondes à comprendre que ce cher Rupert avait tout copmpris. Zut !
Elle se dit alors que deux nouvelles solutions s'offraient à elle : nier (non ce n'est pas ma chaussure ! comment ça j'ai la même au pied ? nan ce n'est pas moi, j'ai un alibi, j'étais au cinéma !). Ou bien de se servir de son statut social hiérarchiquement élevé (Ah ma chaussure, merci bien. Vous... avez un problème ?)
Oui mais c'est gentil mais ainsi, il avait réussi à détourner la conversation du sujet initial. Lui. C'était très fin mais ça ne marcherait pas. Elle le regarda, haussa un sourcil, lui offrit, une nouvelle fois, son plus beau sourire et choisit une troisième solution.

- Vous m'êtes bien aimable. Mais vous voyez bien que mon pauvre pied enflé n'acceptera aucune chaussure. J'avais tellement mal que je l'ai jeté, un excès de douleur, vous devez comprendre. J'en suis désolée. Mais... On parlez de vous. Vous parliez d'ennuis ? Nous avons toute la nuit pour nous, cela m'intéresse, vous n'allez pas me le refuser ?

Elle fut satisfaite de son incroyable capacité à se sortir d'une situation embarrasante. Elle jeta un coup d'oeil à la petite vitrine où siégeait une bouteille et deux grands verres, et ne put s'empêcher de repenser à sa vision initiale. Elle sourit de nouveau :

- Vous prendrez bien un verre avec moi ? Je vous l'offre, c'est un excellent cru. Ca non plus vous n'allez pas me le refuser ?

Ce n'est qu'après coup que Rupert se rendit compte de l'énorme erreur qu'il venait de commettre: il n'aurait jamais du se laisser emporter par ses émotions, particulièrement présence de Miss Shatterney! En effet, on ne pouvait rien faire de pire en sa présence que de se comporter d'une manière différente de coutume ou bien de réagir trop violemment à ses paroles, chose qu'il venait juste de faire. Le majordome ferma un bref instant les yeux en ayant la certitude qu'à partir de cet instant, la jeune femme serait encore plus invivable que d'habitude. Bien qu'elle soit à l'opposée de la jeune femme de la haute société traditionnelle, c'est-à-dire calme et disciplinée, Rupert savait que Miss Shatterney était loin d'être sotte et que son revirement lui avait mit la puce à l'oreille. Elle allait sans doute tout faire pour découvrir le secret qu'il cachait derrière son silence et son air glacial depuis qu'il était entré au service de la famille Tiddler. Il y avait peu de chances pour qu'elle y arrive d'ailleurs: ce n'était pas cette enfant agaçante qui allait lui faire déballer son passé douloureux! Cependant, elle risquait de lui rendre la vie encore plus impossible que d'habitude, ce qui n'était pas peu dire la connaissant! Rupert allait devoir s'armer de patience et de prudence à chaque fois qu'il se montrerait en sa compagnie. En voyant qu'elle réfléchissait avec attention, il changea brusquement d'avis et comprit qu'il devait se montrer tout de suite prudent! Elle allait sans doute tenter de lui faire cracher le morceau dès ce soir! La nuit risquait d'être longue...

Lorsque Rupert vint lui présenter sa chaussure en lui prouvant qu'il avait parfaitement compris son petit manège, Miss Shatterney eut un petit air étonné, de la comédie bien sûr, et lui offrit son plus beau sourire auquel le jeune homme resta parfaitement insensible. Elle inventa alors une excuse, soit-disant que la douleur l'avait poussé à jeter son soulier au loin. Elle était forte, Rupert devait l'admettre mais il l'attendait au détour. Elle revint rapidement à parler de lui, chose qu'il aurait voulu éviter en lui faisant quelques propositions. N'ayant guère le choix, Rupert fronça légèrement les sourcils mais c'est avec une voix parfaitement neutre qu'il déclara:

-Si tel est votre désir Miss Shatterney, j'accepte de rester en votre compagnie.

Il s'abstint de préciser qu'elle n'aurait aucune information de sa part. La jeune femme lui proposa alors de boire un verre, chose qu'il ne pouvait lui refuser évidemment.

-Bien sûr. Merci pour votre générosité.

Rupert apporta la bouteille et les deux verres (mais qu'est-ce qu'ils pouvaient bien faire là?) et les remplis. Il tendit un verre à la jeune femme mais ne toucha pas le sien. Il se doutait que c'était encore un coup monté.