Depuis qu'il était arrivé à Bath, Danny avait été plutôt très assidu dans la recherche d'une personne en particulier, une personne dont il ne connaissait que le nom et l'adorable beauté et dont il ne gardait pour tout souvenir qu'une danse merveilleuse et un délicieux parfum. Il avait eu par hasard pour cavalière au bal d'Halloween, une certaine Lynn Cornwell, qui était trop belle pour être oubliée si rapidement. Et si Danny n'avait gardé de sa soirée qu'un souvenir très flou, la faute en était sans doute à l'alcool, dont il avait à son habitude un peu trop abusé, il se souvenait avec délice de cette silhouette de reine et de ce parfum angélique. Rien à voir avec l'odeur suave et ensorcelante de sa si chère Erin, mais un peu de changement ne lui ferait pas de mal. Depuis qu'il avait compris ses sentiments pour sa farouche cousine, Danny avait tenté de réfléchir à tous les moyens possibles pour s'écarter de son obsession ; une solution lui était apparue plus judicieuse que les autres : en trouver une autre. Le visage de Lynn s'était alors imposé à sa mémoire.

Il avait du faire jouer toutes ses relations, il n'avait pas osé interrogé Georgiana, son employeuse, mais il avait fait une enquête discrète, et personne de sa connaissance venant de la haute n'avait été capable de le renseigner sur la mystérieuse créature. C'était complètement par hasard qu'il avait entendu parler d'elle. Il venait de passer un bon moment avec la petite serveuse d'un bar des catacombes, quand il avait évoqué ce nom. La serveuse l'avait regardé avec intérêt, non pas qu'elle s'étonna du manque de galanterie de Danny qui évoquait une femme après avoir couché avec une autre, mais ce nom, dit-elle, lui évoquait quelque chose. Cela avait beaucoup étonné Danny, qui avait toujours pensé, à juste titre, que Lynn faisait partie de la bonne société, et que son nom soit parvenu aux oreilles d'une serveuse sans condition avait quelque chose d'étrange et de surprenant. La petite serveuse n'avait pas été capable de le renseigner plus que cela, mais Danny avait tout de même décidé de suivre cette piste.

Et c'était ce soir-là que la chasse avait commencé. Il avait traîné dans les catacombes, interrogeant ici et là, mais n'obtenant que rarement des réponses. Il craignait de retourner bredouille chez lui, et en plus à une heure particulièrement indécente -mais enfin si cela pouvait rendre Erin jalouse... NON, pas bien, Danny, pas bien, toi pas penser à Erin. Il était parti de chez lui convenablement vêtu, mais après de longues heures, le col de sa chemise en toile grossière s'était largement desserré, et son pantalon flottait sur ses hanches plutôt que sur sa taille. Mais il s'en fichait, il était juste persuadé d'avoir perdu sa soirée. Il avisa une silhouette blonde, de dos, et décida de tenter une dernière fois sa chance avant de rentrer chez lui. Il posa la main sur l'épaule frêle de la jeune femme et lui demanda d'une voix légèrement lasse :

"Excuse-moi charmante demoiselle, mais connaîtrais tu par hasard une belle personne répondant au nom de Lynn Cornwell ?"

Les jours passaient et tous ne cessaient de se ressembler, Lynn avait beau espérer s’en sortir, il lui arrivait par moment de baisser les bras. Elle avait connu quelques rebondissements, mais des rebondissements sans suite, enfin pour l’instant. Elle trainait encore dans la rue, mais elle n’arpentait plus ces rues vêtue de guenilles. Au contraire, elle avait réussi à se trouver une robe convenable. Qu’il était réconfortant de voir sa vie changeait petit à petit. L’espoir pouvait très certainement renaitre dans ces instants. D’ailleurs, ce soir là, Lynn se sentait heureuse, pourtant elle était seule, rien de spécial ne s’était passé pour elle. Mais un grand sourire arborait son visage, elle était heureuse sans aucun raison. A cet instant, la petite Lynn enfantine et insouciante revivait. Un petit frisson la parcourait, l’obligeant à resserrer cette petite couverture dont elle ne se séparait jamais. Seule et sereine, elle arpentait, au fin fond de l’obscurité des catacombes, les ruelles sans vie, enfin pratiquement sans vie. Elle croisait de ci de là quelques femmes ou hommes occupaient à leurs affaires. Elle continuait de marcher, nonchalante, rêvant de jours meilleurs, quand soudain une vois masculine s’éleva dans son dos. Elle fut doublement surprise : d’une part, un homme venait de lui adresser la parole, alors qu’elle ne s’y attendait pas, mais d’autre part, on lui demandait si elle connaissait une Lynn Cornwell. Ainsi quelqu’un la cherchait, quelqu’un tentait de la retrouver. Jugeant préférable de ne pas répondre de suite (c’est bien brave fille), Lynn se retourna doucement afin de connaitre le visage de son interlocuteur.

Elle dut retenir un hoquet de surprise en voyant son visage. Il ne lui fallut que peu de temps pour le reconnaitre, ce visage elle ne l’avait jamais oublié. Comment oublier son cavalier du bal d’Halloween ? En face d’elle se tenait Danny, cet homme charmant, envoutant, dans les bras duquel elle avait virevolté le temps d’une danse. Que ce souvenir semblait lointain, plus que lointain. Stupéfaite, aucun mot ne sortait de sa bouche, elle ne pouvait que le regarder droit dans les yeux. Muette, cette retrouvaille des plus inattendues, l’empêchait de parler. Elle resserra machinalement sa couverture sur ses épaules. Dans sa tête, des millions de mots, de phrases se formaient, elle aurait pu devenir une fontaine de mots intarissables, mais seul le silence s’imposait. Elle déglutit une fois, deux fois, trois fois, cherchant dans ses entrailles le courage de lui répondre, qu’elle était Lynn Cornwell. Qu’elle se tenait devant lui. Elle devait agir vite, elle voyait bien à son état, mais également au timbre de sa voix, qu’il semblait fatigué et lasse. Si elle tardait trop, il partirait, et plus jamais une telle occasion se représenterait face à elle. Alors qu’il semblait partir, en même temps, elle ne percevait pas grand-chose dans l’obscurité, mis à part son visage, Lynn l’interpella, trouvant le courage quelque part par ici.

« Attends, je suis celle que tu cherches. C’est moi, Lynn Cornwell. Tu dois être Danny, l’homme avec qui j’ai dansé à au bal, à Meryton… »

Lynn se rapprocha doucement de lui, afin de mieux le voir. Il n’avait pas changé, mis à part qu’il semblait fatigué et épuisé. Elle le regarda longuement, c’était bien le premier qui avait décidé de la rechercher, de la retrouver, et le voilà qu’il se trouvait en face d’elle. Personne ne s’était donné la peine de la retrouver. Ni même Jack Dennaker avait eu envie de la retrouver. Au contraire, s’il l’avait retrouvé c’est juste par hasard. Il pensait trouver une fille de joie et il l’avait trouvé elle. L’histoire s’était mal terminée. Cependant, une question perturba Lynn. Une question existentielle. Jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à ce soir, elle ne pensait pas qu’elle pouvait signifier quelque chose pour quelqu’un, même que cette chose soit aussi insignifiante. Désirant savoir, elle ne put s’empêcher de lui poser la question.

« Pourquoi me recherches-tu ? Tu es bien le premier, le seul et dernier, je pense, à vouloir me retrouver. »

La frêle jeune femme semblait résignée à l'ignorer, mais Danny était trop imbibé et défaitiste pour insister. Il s'apprêtait à repartir bredouille, à tourner les talons en vacillant, quand l'inconnue se retourna. La distinguant mal, il mit un temps avant de se rendre compte que ce n'était pas une inconnue et que c'était même celle qu'il cherchait. Seulement, il n'avait rien en commun, sinon le visage et la silhouette, bien qu'elle soit légèrement trop mince au goût de Danny, entre cette personne et la distinguée et enjouée Lynn Cornwell qu'il avait cru connaître au bal d'Halloween. Cependant, cela ne déplut pas à Danny. Il n'avait rien contre elle, et la plaignait plus qu'autre chose de se retrouver ainsi. Mais avait-elle toujours été à la rue ? Lui avait-elle donner une fausse impression, comme une sorte de cendrillon le soir du bal ? Non, il aurait juré que non. Il connaissait bien les filles de petites vertus, et Lynn ne leur ressemblait pas même en haillon. Elle était bien trop belle, sa pureté semblait étinceler plus encore dans ses vêtements de misère. En réalité, avec sa mine inquiète et craintive, avec sa blondeur qui luisait doucement sous la faible lumière de la lune, elle était bien plus belle que Danny ne l'avait cru. Son souvenir s'était-il estompé au point qu'il ait sous-estimé la beauté de miss Cornwell ? Il ne le saurait jamais.

Danny aurait beaucoup aimé tendre la main pour toucher Lynn, pour vérifier qu'elle était bien réelle, qu'il ne s'agissait pas d'un ange déchu (après tout il avait beaucoup bu). Il était légèrement dégrisé par la surprise, et il était capable de tenir une conversation. Mais il était incapable de se rappeler pourquoi il cherchait Lynn, il l'avait oublié au moment où il l'avait reconnu, où il l'avait vu si belle et si pure dans un océan de noir et de crasse. Elle n'avait décidément rien à faire ici. Il retrouva toute de même sa verve habituelle et put répondre à Lynn :

"Tu m'as l'air surprise, toi, de me trouver à te chercher, mais moi, ce qui me surprends le plus, c'est que personne d'autre n'est tenté de le faire avant moi. Cela dit, à la décharge de tes amis ou de ta famille, tu n'es pas facile à trouver, j'ai cherché un moment avant de tomber sur toi."

Il la regarda d'un air rêveur, non dépourvu d'une certaine admiration. Il n'avait pas répondu à sa question, et il fallait bien qu'il le fasse, bien sûr, mais il aurait été assez délicat de lui expliquer qu'il était parti à sa recherche pour se sortir Erin de la tête. Une femme n'apprécie jamais d'être choisie par rapport à une autre, par défaut d'une certaine manière. En la voyant, Danny se maudit de ne pas l'avoir cherché avant, ni d'avoir de motifs plus purs que l'ombre sauvage de sa délicieuse cousine. Mais en même temps, en voyant Lynn, il devina qu'il avait trouvé la bonne solution pour tenter de se soustraire au charme impitoyable de sa bien aimée. Lynn était si belle et si différente.

"Je ne sais pas ce que tu as gardé comme souvenir de cette soirée, et je dois t'avouer que mes propres souvenirs sont plutôt flous, en effet je t'avais trouvé d'une grande beauté, et ma mémoire ne te rendait décidément pas justice. N'est-il pas normal de se mettre à la recherche de ce qui nous attire et nous fascine ? Mais je ne veux pas t'ennuyer, ni t'accaparer, alors que tu sembles avoir de plus gros ennuis que mes simples recherches... Que fais-tu ici ? Ce n'est pas ta place, tu tranches un peu dans le décor, et c'est un compliment crois-moi."

Lynn n’avait pas caché sa surprise de voir Danny face à elle. Lorsqu’elle avait croisé Jack, elle avait pensé que cet ami venait la chercher et l’aiderait à sortir d’ici. Or ce n’était pas le cas, jamais il n’aviat voulu la retrouver. C’était le hasard qui s’en était chargé. Alors que Danny, lui, se trouvait là devant elle, dans toute sa splendeur, elle le voyait en face d’elle, sa tenue était quelque peu défaite, mais elle s’en moqua, ni portant aucune attention. Ce qui la toucha était ses mots, il veniat pour elle, il l’avait cherché dans l’espoir de la retrouver. Il y avait ainsi une personne qui ne l’avait pas oublié, une seule et unique personne peut être, mais allait-elle s’en plaindre ? Jusqu’à présent, personne n’avait daigné le faire, il était le premier, et elle ne pouvait être que reconnaissante envers lui. Cependant, quelque chose traversa son esprit. Son apparence, la sienne. Le jour où elle avait dansé avec lui, elle était habillée autrement, d’une autre manière, elle resplendissait. Ce soir, ce n’était guère le cas, elle était vêtue d’une robe quelque peu sale, d’une couverture sur ses épaules, mais surtout elle avait quelque peu perdue l’apparence qu’elle avait auparavant, étant donné que la rue n’était pas faite pour elle, elle avait ainsi perdu quelques kilos, perte non négligeable à la regarder. Néanmoins, elle préféra passer outre, et accorder de l’attention à celui qui se trouvait juste en face d’elle. Il lui avoua qu’elle était difficile à trouver, ce qu’elle savait parfaitement. Elle se sentait honteuse et idiote, elle avait tout perdu et n’avait pas osé aller de l’avant, préférant se terrer.

« S’il est si difficile de me trouver, c’est parce que je me cache. Depuis Meryton, je me sens honteuse, j’ai tout perdu, absolument tout. Je n’ai plus rien hormis cette robe et cette couverture. J’étais hébergé chez un militaire du régiment, mais à croire que ce dernier m’a complètement oublié. Je me suis donc retrouvée seule »

Lynn déglutit, resserrant une nouvelle fois sa couverture. Elle ne savait presque rien de lui, elle n’avait qu’un seul et unique souvenir, un souvenir qu’elle n’oublierait pour rien au monde. Ce soir-là, elle avait été la mystérieuse Lynn, cette jeune femme virevoltante dans les bras d’un homme des plus séduisants. Alors qu’elle regardait ses pieds, ne pouvant le regarder droit dans les yeux, il lui répondit. Il lui expliqua que c’était ce fameux souvenir qui l’avait poussé à la retrouver, il voulait retrouver la jeune femme qu’il avait rencontrée au bal. Lynn tira une moue. Elle n’était plus exactement la fille qu’elle avait été à ce moment. Elle eut l’impression qu’elle allait le décevoir, mais être honnête était la seule chose qu’elle pouvait faire. LA seule chose qu’elle pourrait lui offrir en cet instant.

« Tu as du remarqué que le jour du bal, j’appartenais à une certaine classe. En vérité, je suis une Miss. J’arrivais tout droit d’Ecosse, étant à la recherche de ma sœur aînée, mariée à un soldat. Je l’avais retrouvée avant l’épidémie, j’ai désormais perdu, une nouvelle fois, sa trace. Si je suis ainsi, c’est parce que je n’ai plus rien. J’ai tout perdu en venant à Bath. J’ai fait le chemin seule, mais en arrivant ici, je n’avais plus rien. Je devais donc aviser, j’ai du m’adapter. Voilà pourquoi, je suis quelque peu en guenille. Je me sens honteuse d’avoir fini ainsi. »

Lynn était pratiquement au bord des larmes, si bien qu’elle essayait tout de même de se contenir et de démontrer qu’elle pouvait être forte. Elle vivait dans les bas fonds de la ville. Elle avait enduré maintes épreuves, ce n’était pas le moment pour elle de pleurer, pas après ce qu’elle avait traversé. Elle aurait tout le loisir de pleurer plus tard. Elle le regarda droit dans les yeux, le regard brillant. Il était là pour elle, elle ne devait donc pas pleurer, et lui montrer qu’elle avait un mental d’acier, ce qu’elle n’avait pas réellement. Elle tenta de trouver quelque chose pour briser le silence qui venait de s’installer entre eux. Elle ne trouva pas mieux que de lui demander comment il était arrivé ici. Elle n’aurait pas pensé qu’il pourrait venir de ce côté ci de la ville, côté sale, sombre et malveillant. En même temps, elle avait dénoté une note d’alcool dans son comportement.

« Comment es-tu arrivé ici ? Ici, généralement, je ne croise personne, enfin, je veux dire que la seule autre personne que j’ai croisé de Meryton, c’était bien plus haut. C’était à côté de cette maison, où les femmes ne cessent de vendre leur corps. Désormais, j’évite ce coin là. »

Le discours de Lynn échappa légèrement à l'entendement de Danny. Non pas qu'il fût particulièrement bête ou inattentif, mais l'alcool fait partie de ces fascinantes substances qui ralentissent quelque peu vos capacités intellectuels, et le jeune homme en avait absorbé une certaine quantité. Il comprit néanmoins qu'elle n'était pas à sa place mais qu'elle n'avait pas le choix. Le regard de Danny s'égara dans ceux de Lynn, glissa sur sa chevelure blonde emmêlée, sur ses épaules maigres et gracieuses, sur son corps trop frêle pour les habitudes de Danny. Mais elle était d'une beauté inexplicable et troublante. Etait-ce l'alcool ou son essence qui lui procurait un aura si éclatant ? Il la vit trembler, alors qu'elle expliquait à mots voilés les souffrances qu'elle avait du vivre. Une petite créature si chaste et si éloignée de la trivialité du peuple devait avoir eu un choc face dans les entrailles sombres et grouillantes de la si brillante, étincelante, Bath, véritable iceberg à la partie la plus significative plongée sous l'eau. Il commença à enlever sa veste, toute empreinte de son odeur, et parla alors qu'il la posait sur les épaules de Lynn après s'être posté derrière elle.

"Je n'ai jamais été de bonne condition, vois-tu, je n'étais que fermier à Meryton et je ne suis que guère plus convenable ici. C'est le hasard qui nous a mis sur le chemin l'un de l'autre, c'est à nouveau le hasard qui favorise notre rencontre" dit-il, la bouche assez près de l'oreille de la jeune femme, les mains toujours posées sur les frêles épaules à présent enveloppées dans sa veste.

Il se rendit compte que son attitude ne faisait sans doute que peur à la jeune femme, et ne devait pas contribuer à la rassurer. Il s'éloigna avant de revenir devant elle. Le pas vacillant, il réfléchissait. Que pouvait-il faire pour elle ? Il ne pouvait pas la ramener chez lui tout de même ? Ce serait pour le moins inconvenant ! Mais qui se soucierait de cette jeune fille qui semblait oubliée de tous ? Non, non, ce n'était pas possible, chez lui, c'était aussi et surtout chez Erin ! Là, une lumière sembla jaillir dans son esprit. MAIS OUI ! Autant ramené une jolie donzelle chez lui, en prendre soin, juste sous le nez de sa cousine. Il ne manquerait plus qu'il couche avec Lynn pour rendre Erin jalouse, soit pour le montrer à quel point il était indifférent. Bon, sans doute qu'Erin la ferait travailler dur pour qu'elle paye son loyer. Elle trouverait bien une torture à lui imposer. Mais qui ne tente rien n'a rien, après tout !

"Je ne sais comment elle réagira, mais nous pouvons essayer d'aller chez moi où se trouve également ma cousine, vous y serez au chaud au moins pour ce soir, d'autant plus qu'Erin ne doit pas être là. Il ne tient qu'à vous d'accepter."