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Rien de tel qu’un bon thé bien chaud pour vous réchauffer en cette période froide de l’année. Les fêtes approchaient, certes, et c’était toujours un plaisir de les fêter, mais le froid se faisait très souvent mordant. A un point, qu’il en devenait difficile de quitter son lit, si chaud et tiède à la fois. Mais que voulez-vous, il le faut bien. Les achats de Noël sont tout de même importants. Elizabeth venait de les finir, elle avait trouvé tout ce qu’elle cherchait. Maintenant, tout ce) qui lui importait était de se réchauffer. C’est ainsi qu’elle entra au salon de thé. Au premier regard, elle s’aperçut qu’il y avait bien plus de monde qu’elle ne pouvait l’espérer. Miséricorde, ne pourrait-elle pas avoir une table à elle toute seule, pour son bien, mais surtout pour sa tranquillité ! Elle aborda une jeune employée :

« Mademoiselle, vous reste-t-il encore une table vide où je serais seule ? » lui demanda-t-elle sur un ton sec et cassant.

« Excusez moi, Lady Forbes, mais nous n’avons plus de tables. Je ne peux que vous proposez de prendre place à une table où il reste une place de libre. Toutes les femmes de Meryton sont pratiquement toutes présentes ici même »

« Je ne suis point aveugle pour ne pas le remarquer moi-même ! Je vais attendre qu’elles s’en aillent, je suis sûre que je trouverais ma table moi-même. »

L’employée partit, une fois qu’Elizabeth lui en donna l’ordre. Elle regarda tout autour d’elle, quelle scène pathétique s’offrait à elle. Il n’y avait là qu’un nombre incalculable de femmes si mal fagotées, qu’Elizabeth pourrait avoir pitié d’elle. Elle s’avança, pas à pas, dans le salon de thé, observant tout autour d’elle quand soudain son regard s’arrêta sur une jeune femme. Une femme qui sortait du lot, elle n’était point du tout habillée comme ses vieilles femmes de Meryton. Son habit avait l’air délicat, voilà une femme qui avait du goût pensa-t-elle. Elle s’avança encore un peu et remarqua qu’elle occupait seule une table. Un sourire se dessina sur son visage, Elizabeth avait quelque chose en tête. Mais, pour l’instant, elle devait aller tâter le terrain, savoir de quoi il en retournait. Même si elle avait cédé au simple fait d’avoir une table rien que pour elle, sa mauvaise humeur n’était pas tout à fait évacuée. Cependant, une seule compagnie valait mieux que celles des autres femmes ici présentes. S’approchant de cette jeune femme, Elizabeth lui adressa la parole

« Excusez moi, mais puis-je prendre place à votre table ? Il n’y a pas de place, et je désirais prendre une bonne tasse de thé pour me réchauffer de ce froid glacial… »

Yelizaveta sourit tout en mélangeant le sucre dans sa tasse de thé, en repensant à sa petite Franziska. L’enfant semblait si bien s’adapter à son nouvel environnement… Son père ne semblait pas lui manquer, ce qui n’était guère étonnant quand on savait à quel point ce dernier avait toujours ignoré et négligé sa fille. Au château, Yelizaveta avait été très touchée par les regards tristes et envieux que sa fille posait sur son père lorsque ce dernier regardait tendrement le berceau où dormait paisiblement son petit frère. C’était tellement injuste ! Comment un homme pouvait-il être aussi différent avec ses enfants ? Sous prétexte qu’elle n’était qu’une fille Franziska n’avait jamais eu droit à la moindre reconnaissance, au moindre sourire… Tout ce qu’elle récoltait – alors qu’elle cherchait inlassablement à attirer le regard de son père – c’était des réprimandes lorsque le regard gris d’Ulrich se posait sur sa progéniture. Mais cette année, cela serait différent. Pour la première fois, sa fille connaîtrait une vraie fête de Noël, semblable à celles qu’elle avait connu elle-même étant enfant dans sa Russie natale…
C’était d’ailleurs dans ce but qu’elle était sortie par ce temps. Elle avait laissé sa soubrette – la seule domestique qu’elle avait emmenée avec elle dans son long voyage et en qui elle avait entière confiance – s’occuper de son petit ange aux boucles blondes, pendant qu’elle, s’aventurait dans les rues de Meryton, à la recherche de cadeaux dont elle pourrait combler son enfant. Elle était partie tôt, espérant ainsi pouvoir rentrer à la demeure des Handilton avant la tempête de neige qu’on avait annoncé pour en début de soirée. Elle avait déjà trouvé de nombreux cadeaux qui allaient surement faire sourire sa fille, mais elle en voulait encore plus ; aussi, s’était-elle accordée une petite pause avant de reprendre ses courses ; et quelle meilleure idée que de venir prendre une tasse de thé avec quelques pâtisseries pour s’habituer au style de vie anglais ? La veille, Isabelle Handilton lui avait parlé d’un salon de thé « typiquement anglais » et qui, selon elle était parfaitement recommandable. Yelizaveta avait donc sauté sur l’occasion, et jusqu’à présent, elle ne regretta pas son choix. Certes l’établissement n’était pas aussi élégant que les salons dans lesquels ses amies la recevaient en règle générale, mais l’endroit n’était pas dénué de charme pour autant.
Elle sentait peser les regards sur elle, tout le monde devait se demander qui pouvait être cette « étrangère » qui se parait de diamants pour aller boire une tasse de thé ? Mais, elle n’y prêtait pas une attention particulière, elle était habituée à susciter un intérêt certain sur son passage : ce qui n’était pas pour lui déplaire, elle avait été élevée pour paraître en société.
Souriant, elle porta sa tasse à ses lèvres lorsqu’une voix se fit entendre à ses cotés. Surprise, elle reposa cette dernière sur la table et observa la personne qui avait osé lui adresser la parole sans qu’on les ait présentées au préalable. Elle arqua joliment ses sourcils et détailla ladite intruse. Puis acquiesça de la taille et pointa de sa main droite une place libre à sa table, sans prononcer le moindre mot.

En voilà de curieuses manières, cette étrangère ne devait sûrement pas savoir à qui elle faisait face. Un simple hochement de tête pour lui signifier qu’elle pouvait prendre place en face d’elle. Elizabeth n’était point sotte pour savoir, derechef, que cette mystérieuse femme était pompeuse à souhait, mais surtout hautaine pour s’afficher ainsi en public. Elizabeth prit donc place en face d’elle et attendit patiemment qu’on lui apporte son thé avec un nuage de lait, accompagné d’un ou deux petits gâteaux. Autour d’elle, régnait toujours cette même ambiance, cette ambiance qui vous colle à la peau, lorsque vous avez telle ou telle réputation. En cherchant une place, elle s’était bien évidemment aperçu que tout le monde observait, dévisageait, mais surtout déblatérait sur cette jeune inconnue.

Une employée du salon de thé lui apporta finalement son thé, telle qu’elle l’attendait. Elizabeth la regarda faire et la pria de partir, sans même un merci. Dévisageant cette femme, Elizabeth laissa vagabonder ses pensées des plus simples aux plus frivoles. Elle pensait à son père qui à cet instant plaisir devait vivre sa vie comme il l’entendait, ou tout simplement était au coin du feu, lisant le compte rendu de sa chère fille adorée, Pearl. A cette pensée, Elizabeth grimaça, quelle plaie cette fille, à cause de sa venue, elle allait devoir la supporter lors du réveillon de Noël, pour une fois elle s’en serait bien passé. Rien n’était comme elle l’aurait souhaité. Néanmoins, elle chassa cette pensée et se reconcentra sur cette mystérieuse inconnue, au comportement hautain et pompeux. Elle buvait son thé comme si elle était au dessus de tout le monde. Un sourire malicieux se dessina sur son visage, Elizabeth avait encore une idée derrière la tête. Une de plus ! Pauvres citoyens de Meryton, ils connaitraient la tranquillité qu’au départ d’Elizabeth. Mais pour le moment, il s’agissait de la supporter, elle et ses idées toute aussi tordues les unes que les autres. Cependant, elle prit la sage décision d’attendre encore un peu. Peut être que quelque chose se passerait, lui permettant alors d’affiner son dessein. Une chose était sûre avec elle. Il était bien rare d’échapper à ses scrupuleuses idées.

Buvant son thé, mangeant son gâteau, Elizabeth écoutait discrètement les piaillements de toutes ces dames mal fagotées, ressemblant à … pas grand-chose. Quelle désolation pour elle, habituée à la mode parisienne. Heureusement, que son amie Harmony était à ses côtés pour rehausser le niveau dans cette petite ville. Ville ? Non village. Personne ne connaissait l’identité de l’inconnue, certaines racontaient qu’elle était perdue, d’autres qu’elle était folle. A cette idée, Elizabeth eut un hoquet, trahissant les moqueries qu’elle pensait en son for intérieur. Non pour elle, il ne s’agissait pas d’une folle, peut être d’une femme perdue, ou alors enlevée. Quoiqu’elle pourrait être comédienne, une pauvre petite paysanne se déguisant en grande Dame, afin d’attirer les regards. Ce petit jeu expliquait très facilement sa tenue pompeuse et bien trop riche pour une Dame de Meryton. Elle pouvait très bien être belle, quelque chose clochait dans son attitude, Elizabeth le percevait fort bien.

Yelizaveta porta un gâteau à sa bouche, avant de jeter un regard circulaire à la salle de thé. Á son arrivée, elle n’avait guère prêté attention aux autres dames qui étaient dans la salle. Elles n’étaient pas dignes de son intérêt : elles étaient bien trop mal élevées. Parler d’une personne avec une autre, alors qu’elle se trouve dans la même pièce était tellement déplacé. Sa mère lui avait souvent décrit les anglais comme des êtres inférieurs, dépourvus de grâce, et rigide à souhait. En observant discrètement les dames qui se mouvaient dans cet endroit, elle comprenait mieux les propos de sa mère. Cette dernière avait parfaitement raison quant aux us et coutumes du bas peuple anglais. Même si ces dames étaient des bourgeoises, ou issues de la petite aristocratie, elles n’étaient pas de son milieu, et il ne fallait pas être doté de dons extra lucides pour s’en rendre compte. C’était tellement pathétique… Tout le monde voulait savoir qui elle était ; ils risquaient d’attendre encore un moment : elle avait demandé aux Handilton, ainsi que la jeune Lynn qui s’occupait de Franziska de taire son identité pour le moment. Elle s’amusait d’entendre els incroyables histoires que l’on racontait sur elle, c’était distrayant de faire l’objet de tous les commérages, et Yelizaveta retrouvait le centre de l’attention, qu’elle aimait fréquenter avec assiduité.
Un sourire naquit sur ses lèvres bien dessinées : pour la première fois de sa vie, elle était anonyme, personne ne la reconnaissait dans cette pièce, et personne ne grappillait autour d’elle, attendant l’une ou l’autre faveur. Elizaveta en ressentait un étrange sentiment.
Elle reprit une gorgée de thé, bien sucré, puis posa son regard sur la nouvelle venue, qui s’était installée sur sa chaise, tout en l’observant mais ne daignant pas ouvrir la bouche.

« - On m’avait prévenue que les manières en Angleterre – principalement dans la campagne – laissaient à désirer. Vous en êtes la preuve vivante. J’aurais probablement dû vous refuser l’accès à cette table. »

Sous sourire était dépourvu de toute bienveillance, et si Yelizaveta n’avait pas le moins du monde pris ombrage de contre-pied des convenances, elle n’en attendait pas moins une lueur de remerciement dans les yeux de son interlocutrice, qui semblait aussi froide que du marbre.
L’accent dont la jeune femme n’arrivait point à se débarrasser lorsqu’elle usait de l’anglais, était parfaitement perceptible dans son propos précédent ; alimentant sans doute les cancans dont semblaient raffoler les anglaises quant à son origine. Allait-on deviner sous la note slave de sa voix son attachement à sa Russie natale ? Ou pencherait-on plus pour son pays d’adoption : la Prusse ? Á vrai dire, Yelizaveta s’en contrefichait, mais avait néanmoins une préférence pour la première possibilité. L’associer à la Prusse aurait été fort déplaisant quand on songeait à tout ce qu’elle y avait laissé…
Désireuse de mettre fin au cours de ses pensées, elle fit un léger signe de la main à l’employé et redemanda des pâtisseries ; elle avait toujours été gourmande, et elle devait bien admettre que l’établissement offrait des mets terriblement tentant : au moins n’avaient-ils pas ça à envier à la Russie… et déjà, elle ne prêtait plus attention à la jeune femme qui était à ses côtés.

Elizabeth, tout en dégustant son thé bien chaud, continuait de dévisager cette étrangère et d'écouter les nombreux commérages. C'était bien là, la seule et unique distraction que pouvait donner Meryton. Village si, comment dire, si ennuyeux que l'on pourrait en mourir. Son interlocutrice ne devait pas être douée de la parole pour rester aussi silencieuse et en plus de ça, elle continuait d'être si hautaine, alors qu'elle n'avait vraiment en rien le portrait d'une grande dame. Quel ennui d'ailleurs. Aucun ragot à colporter sur la nouvelle, mis à part sa tenue et son silence, Harmony serait bien triste de l'apprendre. Elles n'avaient toujours rien à se mettre sous la dent. Misère ! Paris lui manquait. Alors qu'elle se laissait tranquillement bercé par de doux souvenirs. Sa mystérieuse interlocutrice daigna parler. Alléluia ! Elle parlait, enfin, ce n'était pas trop tôt. Elizabeth avait complètement perdu espoir de pouvoir lui soutirer les vers du nez à cette nouvelle. Mais comble de chez comble, voilà que c'était pour lui réprimander les manières anglaises. Gardant son sang froid, Elizabeth posa son thé juste devant elle, lissa quelque peu sa robe, avant de prendre à son tour la parole.

"Venez vous de retrouvez la parole ? Avant de faire une réprimande de ce genre ou tout autre commentaire, la politesse aurait été de me souhaiter la bienvenue à votre table. Un simple bonjour, à moins que ce mot n'écorche votre bouche et que vous nous venez d'un endroit bien pire que ce dernier. Un endroit où être paru telle que vous l'êtes ne choque guère..."

Décidément, cette jeune femme était bien imprudente pour oser lui parler ainsi. Lui refuser sa table ? Quelle baliverne ! Ce n'était que par pure courtoisie qu'elle avait demandé à s'y installer. Dans d'autres cas, elle n'aurait même pas demander, et elle aurait pris place, sans même se gêner. Telle était Elizabeth.

"Enfin, sachez, pour votre gouverne, que je n'ai rien à voir avec ces femmes si démodées et peu intelligentes que sont ces Anglaises de Meryton. Je ne les fréquentes guère. Au contraire, elles me craingnent pour la plupart."

Après ce petit discours, Elizabeth attrapa un petit gâteau qu'elle mangea doucement et but une nouvelle fois de son thé. Bien évidemment, elle gardait à l'oeil cette jeune femme. En effet, dans le peu de parole prononcées par cette dernière, Elizabeth avait remarqué un accent qui ne lui était pas inconnu, pour l'avoir déjà entendu par le passé. Cette femme était bien une étrangère, et elle venait de bien plus loin qu'elle. Mais que faisait-elle dans un endroit aussi perdu? Elle aurait pu s'arrêter dans n'importe quel autre village qui se trouver de son départ à ici. Des villages bien plus plaisant que Meryton.