La pluie tombait telle un torrent derrière les fenêtres de l'immense manoir des Tiddler, qui tremblaient dangereusement à chaque bourrasque de vent. Deux vitres avaient déjà été brisées, sous la pression, depuis le début de la tempête. Rupert, en tant que majordome, s'était empressé de les faire aussitôt remplacé. Le jeune homme se souvint que, à l'instant où les vitres éclatèrent, une myriade de feuilles sont entrées dans les pièces ainsi que de la boue et, bien évidemment, de la pluie. Les pièces étaient alors dans un état incroyable et il avait fallut aux domestiques une grande patience pour tout remettre en ordre. Debout dans le salon, droit comme un I, Rupert observait la tempête à l'extérieur. Il était tout simplement incroyable de constater à quel point la Nature pouvait se montrer sévère et violente par moment. Comment le vent, très apprécié sous forme de brise lors d'une après-midi chaude, pouvait être aussi détestable, aussi dévastateur et aussi dangereux? C'était bien la preuve qu'il ne fallait pas sous-estimer le pouvoir de la Nature. Elle était nettement plus forte que les hommes.

Une voix derrière lui le fit sortir de sa rêverie. Rupert se tourna lentement pour faire face à deux de ses maîtresses qui, étendues sur des sofas, discutaient de bals, de prétendants et autres choses propres aux discussions qui appartenaient au domaine de l'aristocratie. L'une de ses maîtresses, la plus jeune, lui dit qu'elle pouvait à présent disposer. Après un hochement de tête, Rupert vint récupérer un plateau en argent sur une table basse où se trouvaient à présent des tasses de thé et une théière vides et une assiette qui avait autrefois contenu des petits gâteaux. La majordome s'inclina brièvement puis quitta la pièce, laissant ces dames parler du dernier homme masqué qui les avait séduites lors d'un bal. Comment pouvait-on parler de choses si futiles alors, qu'à l'extérieur, la tempête faisait rage et que les récoltes étaient détruites? C'était bien une chose que Rupert ne comprendrait jamais! Enfin... Il n'avait rien à dire après tout, il n'était qu'un majordome. Rupert traversa le hall et, au moment où il allait entré dans la cuisine, la porte s'ouvrit et il tomba nez à nez avec Gabrielle Brawne, une jeune femme charmante qui travaillait chez les Tiddler depuis peu. Rupert fronça légèrement les sourcils en voyant qu'elle avait revêtu son manteau. Elle ne comptait tout de même pas sortir? Sans un sourire, comme à son habitude, Rupert inclina légèrement la tête en guise de salut et murmura:

-Mademoiselle Brawne, où allez-vous donc ainsi vêtue? Ne me dites pas que vous comptez sortir par un temps pareil!

Face à la réponse que lui fournit Gabrielle au sujet de sa présence devant la porte d'entrée, vêtue d'un manteau, Rupert fronça un peu plus les sourcils avant de se reconstruire une expression aussi neutre que d'ordinaire, si bien que son froncement de sourcils fut presque imperceptible. Ainsi, Gabrielle avait l'intention de se rendre au marché malgré ce temps épouvantable... Sans répondre, le majordome orienta un bref instant son regard sur une fenêtre avec de reporter son attention sur la jeune femme. Effectivement, la pluie semblait s'être un peu calmée par rapport à quelques minutes plus tôt mais il n'était tout de même pas prudent de mettre un pied dehors. Après tout, les gouttes de pluie pouvaient rapidement se transformer en hallebardes, rendant l'expédition plus difficile et offrant un risque de tomber malade. De plus, le vent soufflait très fort comme en témoignait le bruit qui faisait les fenêtres du manoir Tiddler sous cette impression peu habituelle. Un vent si fort pouvait faire tomber les arbres et, si jamais Gabrielle passait près de l'un d'eux au moment où cela arriverait, il n'y avait que peu de chances pour qu'elle s'en tire vivante.

D'un autre côté, les réserves du manoir s'épuisaient. Rupert était au courant: il avait fait sa tournée de ma cuisine en début de matinée et avait bien vu à quel point le niveau de nourriture diminuait. Avec ce temps effroyable, il doutait que les récoltes tiennent le cou. A ce rythme-là, la ville de Meryton devrait affronter la famine une fois que la tempête se serait écartée... Peut-être même avant! Les habitants de Meryton vivaient une bien sombre époque... Rupert avait bien envisagé de se rendre lui-même au marché pour aller chercher quelques provisions mais ce vent qui ressemblait à un monstre déchainé, balayant tout sur son passage, l'en avait rapidement dissuader. Il aurait été préférable d'attendre qu'il y ait une accalmie. Le jeune homme aurait bien répété ses pensées à la jeune femme qui se tenait toujours devant elle, attendant une réponse sans doute, mais il savait que Gabrielle savait se montrer très têtue. Il y avait donc peu de chances pour qu'il l'en dissuade. Redressant légèrement la tête Rupert, sans prononcer le moindre mot, fit volte-face et marcha d'un pas mesuré vers sa chambre. Sa décision était prise: il allait accompagner Mademoiselle Brawne. Il ne pouvait se résoudre à la laisser seule affronter ainsi la Nature. C'était contre sa nature de laisser une femme affronter le danger seule, surtout que Gabrielle était infirme, ce qui augmentait les risques. Une fois dans sa modeste chambre, Rupert se saisit de son manteau posé sur une chaise puis regagna au pas rapide le hall d'entrée. Au passage, il informa les domestiques en cuisine qu'il s'absentait puis il se hâta. Il n'avait pas prévenu Gabrielle qu'il comptait l'accompagnait et elle était peut-être déjà partie. Il fut satisfait de voir qu'elle n'avait pas encore quitté la maison. Elle était en train d'ouvrir la porte du manoir, faisant entrer une bourrasque de vent et de pluie, lorsque Rupert apparut à côté d'elle.

-Je vous accompagne.

Son ton laissait entendre qu'il n'y avait aucun moyen de discuter. Enfilant son manteau et le boutonnant jusqu'à son menton, il se saisit de la porte et la tint bien ouverte en attendant que Gabrielle sorte.